Les tenants abusent-ils de 'l'argument d'autorité' et du 'témoin idéal' ?
Introduction : la notion de preuve
Sur cette page web,
l'ufo-sceptique Jean-Marc Donnadieu alias Nemrod34 (son pseudo
habituel) entend démonter "L'argument d'autorité et le
témoin idéal", qui seraient trop souvent brandis par les
"tenants" (traduisez "zozo", "croyant", "ufomane" en langage
"sceptique").
Il commence par dévaloriser globalement et en vrac tous les
témoignages, leur déniant tout d'abord formellement le
caractère de preuve, mais reconnaissant tout aussitôt leur
nature de preuve "judiciaire".
Or personne ne nie qu'une preuve judiciaire est moins forte qu'une
preuve scientifique (de science exacte, comme par exemple une empreinte
ADN). Ni bien entendu que la justice peut se tromper parfois, mais
très rarement quand même eu égard au nombre
d'affaires jugées.
L'ufologie étant une discipline d'enquête scientifique,
portant sur les témoignages d'observation d'OVNI, est
très proche de la criminologie ou de l'enquête
journalistique. Comme elles, elle a donc recourt à la fois aux
sciences humaines telles que psychologie ou sociologie (pour
évaluer le contexte du témoignage et le témoin),
mais aussi aux sciences dites "exactes" pour évaluer le contenu
du témoignage (sciences médicales, astronomie,
météorologie etc.). Parfois, dans les très rares
cas de trace physique, l'ufologie a même recours aux sciences
dites "dures", telles que la physique et la chimie par exemple.
Et il ne s'agit évidemment d'affirmer ainsi avoir la preuve
absolue de quoi que ce soit, mais d'estimer un "curseur de
vraisemblance" comme le dit justement Nemrod.
Selon lui ce curseur serait mal placé en raison d'un abus
d'argument d'autorité. Sous-entendu "dans certains cas
jugés solides par les 'tenants' ".
De manière tout aussi subjective je prétends moi que les
ufo-sceptiques trouvent parfois abusivement vraisemblables des
solutions prosaiques (parfois très différentes les unes
des autres et mutuellement exclusives pour un même cas) pour
expliquer des cas où un faisceau d'indices convergents tend
poutant à les exclure.
NB : J'ai déjà rédigé un article entier sur cette "notion de preuve en ufologie". S'y reporter pour plus de détails.
Les trois exemples de témoins "infaillibles"
Tout d'abord seul Nemrod ce me semble parle de "témoin
infaillible", aucun ufologue sérieux, même très
partisan de l'HET ne croit à cela. Au contraire tous
reconnaissent et prennent en compte les innombrables
possibilités d'erreurs dans la perception,
l'interprétation puis la relation d'une observation, quel que
soit le témoin. Ce mot d'infaillible est donc un
"épouvantail" (strawman) employé ici et là
à moult reprises et sciemment pour dévaloriser la
position du camp adverse.
Ce que disent en revanche les "tenants" c'est que certains
témoins, de part leurs talents et leur profession sont de
meilleurs témoins des "choses vues se mouvant dans le ciel",
comme par exemple les pilotes d'aéronefs.
Or Nemrod conteste vivement ceci au moyen d'un seul argument (je cite) :
"là nous allons parler d'ovni, donc par
définition ce que voit le pilote il ne l'identifie pas, et donc
il n'est pas mieux équipé que vous ou moi, nous allons le
voir."
En réalité dans la suite de son article Nemrod ne
démontre nullement son affirmation. Il exhibe au mieux trois
contre-exemples. La belle affaire, étant donné le nombre
de cas d'OVNIs, même en les réduisant aux seuls PAN D, ces
3 contre-exemples n'ont strictement aucune valeur probante
statistiquement parlant. Regardons-les néanmoins.
1er exemple : l'astronaute Lisa Nowak
Elle a récemment agressé une autre femme "qu'elle soupçonnait d'entretenir une liaison avec un autre astronaute de la NASA".
Ainsi les astronautes ne sont pas des demi-dieux ou des êtres
parfaits. Ils sont capables de jalousie, de colère et même
de violence lorsque les circonstances sont favorables ?! Quel scoop !
Bien entendu Nemrod omet de citer la suite de l'article vers lequel il met pourtant un lien. Et qu'y apprend-t-on ?
Que le corps des astronautes compte aujourd'hui 135 membres.
Statistiquement on est nettement en dessous de 1% de problèmes,
c'est très peu.
Que la tentative d'agression (a fortiori d'homicide) n'est
nullement prouvée à ce jour. Son avocat plaide certes une
"erreur" mais surtout que sa cliente (Lisa Nowak) ne voulait que parler
à sa rivale. Tant que la chose n'est pas jugée, la
présomption d'innocence doit prévaloir
Que "pour l'américain
Homer Hickam, un expert des programmes spatiaux, la Nasa est en partie
responsable de l'effondrement émotionnel de Lisa Nowak".
Vie en vase clos, concurrence à outrance, manque de transparence
dans les choix, pas de supervision, tous ces défauts sont
pointés du doigt et expliquent en bonne partie l'état de
stress des astronautes.
Sans compter le principal. Non seulement Lisa Nowak (ni aucun
astronaute avant elle dans l'histoire à ma connaissance) n'a
"pété les plombs" pendant l'exercice de sa profession,
mais ce fait divers ne justifie à aucun moment une quelconque
baisse sensible de ses facultés d'observation. Or c'est bien ce
qui compte en cas d'observation d'un OVNI par un pilote, a fortiori
dans l'exercice de ses fonctions. Cela et rien d'autre.
Cas 2 : Edgar Dean Mitchell
Nemrod tente de démontrer le peu de crédibilité
qu'il faudrait accorder à Edgar D. Mitchell, malgré son
statut prestigieux de "6ème homme sur la Lune", en raison de ses
penchants affirmés pour diverses zozoteries autour des
extraterrestres et des OVNIs.
Mais tout ce verbiage est strictement inutile, qu'il soit vrai ou faux
(je ne veux même pas en discuter), et Nemrod se tire une balle
dans le pied tout seul, lorsqu'il écrit :
"Mais quelles sont ses déclarations ?
Il déclare simplement que quelqu'un qui connaît
en connaît un autre, qui aurait entendu qu'un autre encore avait
dit que ... L'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours ...
De plus, soulignons qu'Edgar Mitchell n'a jamais
prétendu avoir vu quoique ce soit (au niveau ovni)
lui-même, mais qu'il use aussi d'un argument
d’autorité totalement absurde = il est né à
Roswell !"
CQFD ! Exactement comme dans le cas précédent de la
pilote de navette spatiale jalouse (la pilote, pas la navette), ce cas
est 100% hors sujet par rapport au thème de l'article (le
témoin infaillible) puisque justement Mitchell n'est pas un
témoin et n'a jamais prétendu l'être ! C'est un
simple commentateur de la chose ufologique, visiblement très fan
de l'HET, mais sans apporter aucun élément étayant
factuellement cette croyance.
Cas 3: Le vol Air-France AF 3532 (janvier 1994).
Ah, enfin un exemple qui n'est pas hors sujet comme les deux
précédents. Le témoin est bel et bien pilote en
activité, et il affirme avoir vu un "vrai" OVNI durant l'une de
ses missions. De plus il a ensuite à maintes reprises
communiqué sur cette observation dans le sens de l'HET.
Or que fait Nemrod de ce cas ? Il pond un long pensum rébarbatif
pour démontrer à quel point M. Duboc s'est laissé
aller depuis son observation à des prises de position de plus en
plus marginales, non scientifiques, voire de mauvaise voyance à
la Paco Rabanne ("La cessation de
paiement, dans les deux prochains mois, des États-Unis et du
Royaume-Uni, provoquera, à l’automne 2009, une dislocation
géopolitique mondiale qui signifiera la rupture des principales
alliances économiques et financières entre les pays de la
planète.").
So what ? Certes M. Duboc a visiblement été
profondément marqué par cet OVNI, en a déduit que
les ET étaient là, avaient un message (en
général, et pour lui en particulier), et n'a cessé
depuis d'avancer sur cette voie qui relève de la croyance et de
l'imagination, et non de la science ou de l'enquête rationnelle.
Mais en quoi Nemrod démontre-t-il que cette dérive
patente qui suit le fait générateur, a pu de près
ou de loin fausser le témoignage de M. Duboc ?! Eh bien il ne le
démontre nullement. A ma connaissance aucun biais ou croyance
"pro-ET" précédent cette observation et ayant pu
l'influencer n'a été établi pour M. Duboc.
En réalité, le vrai point faible de ce cas
réputé "solide" dans le rapport COMETA ... c'est
justement qu'après contre-enquête rigoureuse de plusieurs
sceptiques (je leur rend ici hommage, surtout à Eric Maillot),
il ne l'est pas tant que ça. Et notamment que la
corrélation visuel+radar est très probablement fausse, ce
qui réduit fortement le caractère spectaculaire de ce cas
(même un tenant comme Patrick Gross arrive à la même conclusion).
Autrement dit, certes Nemrod démontre ici qu'un témoin
réputé "plus fiable qu'un autre" s'est trompé dans
son témoignage, ou plutôt s'est trompé dans
l'interprétation de distance et de taille (absolues) puis les
nombreuses extrapolations qu'il en a tiré.
Mais cela n'a rien d'extraordinaire. On peut affirmer que les pilotes
sont "plus fiables" en général qu'un quidam pour ce genre
d'observations, sans admettre qu'ils soient infaillibles tout le temps.
En revanche Nemrod démontre aussi et surtout que, quel que soit
le témoin, rien ne remplace une enquête rigoureuse,
basée sur les faits. Et j'ajouterai, si possible avec des
sceptiques purs et durs, qui eux vont se battre bec et ongles pour
évaluer toutes les hypothèses prosaïques possibles
et tenter d'infirmer tous les faits apparement "étranges".
C'est ce qui s'est passé sur ce cas, mais aussi sur le
célèbre cas de Campeche dans le golfe du mexique en 2004.
Là encore les croyants se sont emportés trop vite en
croyant tenir "le" cas ultime, mais après quelques semaines, les
ufologues sérieux (et bosseurs), tant sceptiques que tenants,
convenaient tous qu'il s'agissait très probablement d'une
méprise avec des torchères de plateforme offshore.
Sa conclusion
Toute la suite et la fin de l'article de nemrod, ne fait que ressasser ce même épouvantail :
"Des ufologues (toujours "sérieux") ne retiendront que le fait qu'ils sont pilotes, donc ils ne peuvent pas se tromper !
Voilà où on en est en ufologie ... "
Non, Nemrod, justement. Ce qui caractérise un ufologue
sérieux c'est justement qu'il sait qu'il n'y a pas de
témoins infaillibles, fussent-ils pilotes de la NASA ou de
quadri-réacteurs ! Un ufologue sérieux, même un
"tenant", va vérifier, recouper, contrôler,
enquêter, et ne pas prendre un récit pour parole
d'évangile.
Mais n'oublions l'affirmation initiale de Nemrod en début de son article :
"là nous allons parler d'ovni, donc par
définition ce que voit le pilote il ne l'identifie pas, et donc
il n'est pas mieux équipé que vous ou moi, nous allons le
voir."
Or cet argument, que Nemrod (et d'autres) emploie très souvent
dans leurs débats avec les tenants, n'est toujours pas
démontré. En tous cas pas par cet article, qui ne
l'aborde jamais vraiment.
Ainsi, sous couvert de dénoncer un abus et un mensonge que
personne ne cautionnait de toutes façons (le "témoin
parfait"), Nemrod essaie par extension insidieuse du champ de son
étude (et par amalgame) de nier les différences de
qualité entre témoins.
Or le bon sens indique que quelqu'un habitué à
observer dans un certain milieu (par exemple un chasseur ou observateur
de la nature) sera un meilleur témoin qu'un néophyte qui
ne fréquente jamais (ou très rarement) ce milieu. Non pas
parce qu'il disposerait d'une vue plus perçante ou d'un cerveau
supérieur, mais simplement par son expérience. A fortiori si sa survie (et celle des passagers en
l'occurence) dépend de ses capacités d'observation et de
jugement rapide sur la nature, la distance, la course et la vitesse
relative des objets observés.
Toutes notions dont le quidam moyen n'a pas l'expérience du moins en l'air.
Et le fait d'observer quelque chose d'inconnu n'y change rien. Une
chose est par définition toujours "inconnue" avant d'être
identifiée, ce qui peut parfois prendre de longues secondes
voire des minutes.
Faisons une expérience de pensée pour illustrer la chose.
Imaginons que grâce à un système d'images de
synthèse 3D perfectionné on projette à un panel de
témoins des images d'une forêt, dans laquelle passeraient
furtivement divers animaux. Tous ordinaires (divers oiseaux et
rongeurs, un sanglier, un renard, etc.) et, de temps en temps, une
chimère, une sorte de cerf avec disons une queue de renard, des
pattes d'antilope et pourquoi pas une légère
crinière chevaline.
Il me parait évident qu'un garde forestier ou un chasseur
expérimenté, non seulement identifieraient bien plus
d'animaux ordinaires que les autres témoins, mais
décriraient également avec plus de fidélité
les caractéristiques de l'animal "inconnu". Non pas parcequ'ils
auraient une meilleure vision, mais parcequ'ils l'auraient
observé plus longtemps, et seraient habitués à
relever tout un tas de petits détails, indiscernables pour nous,
mais qui avec l'expérience leur permettent justement de
distinguer à distance une espèce d'une autre, pourtant
très voisine et quasi identique pour un néophyte.
Si en plus cette chimère a un déplacement "impossible",
ne correspondant à aucun animal connu, ces témoins
"particuliers" auraient également plus de chance de le noter,
précisément parcequ'ils sont habitués à
voir chaque jour tous les types de déplacements possibles. Idem
s'il fallait décrire les sons ou les odeurs émis par la
créature.
Quant à la vidéo finale, censé illustrer avec une touche d'humour sa
conclusion "Ne vous laissez pas enfumer, gardez votre esprit
critique.", elle n'a encore une fois aucun rapport avec le sujet. Il
est effectivement bien connu que lorsque toute son attention est
concentrée sur un unique item, notre cerveau ne perçoit plus (ou
beaucoup moins bien) le reste du contexte, ça frôle le truisme et la
Lapalissade. Or en l'occurence, les témoins d'OVNIS (sincères) ont
généralement tendance à se concentrer sur l'OVNI plutôt que sur la
route en cntrebas ou sur la bar-tabac à 600m sur la droite...Ca tombe
bien, ils ont ainsi plus d'informations à nous donner sur le phénomène
observé, ce qui ne peut qu'aider l'enquête.
Ma conclusion
Nemrod aurait en fait du s'en tenir à cette excellente phrase que je cautionne à 100% :
Je ne dis pas de rejeter en bloc les témoignages, ils sont la base de
tout, je dis juste qu’un témoignage de n'importe qui qu'il vienne ne
peut pas être prit à la lettre pour argent comptant.