Note de lecture :

Facteurs prédispositionnels et situationnels influançant la croyance au paranormal


Rapport de recherches présenté en vue de l'obtention du Diplôme d'Etudes Approfondies en Sciences Psychologiques, par Jean-Michel Abrassart (2004)
Universite Catholique de Louvain - Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation


Introduction, origine de ce dossier

Jean-Michel Abrassart, licencié en psychologie de l'UCL, a publié sur le site de l'AFIS un article intitulé "Les OVNIS, un phénomène socio-psychologique ? 10 raisons de le penser", paru dans le N°254 d'Octobre 2002 de la revue de cette association rationaliste.

Trouvant ces 10 raisons un peu "légères", j'y ai répondu, puis nous avons âprement débattu. Cet évènement a été le facteur déclenchant qui m'a poussé à créer mon site personnel en avril 2003. L'un des tout premiers dossiers publiés fut donc ce débat avec M. Abrassart.
Au bout de deux ans, en avril 2005, il m'a subitement enjoint de retirer de mon site son e-mail de réponse ainsi que ma réponse à cet e-mail (parties N° 5 et 6). J'ai essayé de le convaincre de changer d'avis, que chacun avait le droit de défendre ses opinions, mais sans succès.

Il s'est justifié en disant que cet article n'était pas de ses meilleurs (c'est vrai , il est faible), qu'il s'adressait à un public de sceptiques (est-ce une excuse ?) et que ses réponses n'étaient pas assez peaufinées. Il préférait que je commente d'autres publications, plus abouties et dont il assumerait l'intégralité du contenu. Il m'a cité alors comme exemple son mémoire de DEA de 2004.

Je lui ai dit que je le lirai, et que je le commenterai, pour autant qu'il concerne la question initiale qui nous opposait ("Les OVNIS, un phénomène socio-psychologique ?"). Cet article est la concrétisation de ma promesse.

NB : Le mémoire de M. Abrassart est disponible en cliquant sur ce lien (attention, 241 KO, au format pdf)

Synthèse

Ce mémoire fut présenté dans le cadre du Centre d'Etude de la Religion, de l'Université Catholique de Louvain, le 23/11/2004. Ce point m'a immédiatement alerté et inquiété. Voici en effet, selon le propre site de l'UCL, quelles sont les missions de ce centre :

Le Centre de psychologie de la religion a comme mission d'étudier du point de vue psychologique (concepts, théories et méthodes) les faits religieux ainsi que de promouvoir l'interdisciplinarité entre la psychologie et les autres sciences humaines et sociales de la religion. Le Centre a été fondé et dirigé par Antoine Vergote (1961-1987) et par Jean-Marie Jaspard (1977-2001). Les recherches menées au Centre (actuelles et antérieures) s'inscrivent dans les cinq axes principaux de psychologie de la religion:
- psychologie du développement religieux
- psychologie de la personnalité et religion
- psychologie sociale des religions
- psychologie clinique de la religion
- interdisciplinarité entre psychologie, théologie et sciences des religions

D'ailleurs la liste de tous les autres DEA et textes présentés sont eux exclusivement consacrés à de vrais thèmes religieux. Rien à voir avec l'ufologie donc. A moins de poser comme postulat qu'il s'agit d'une "religion moderne new-age", et d'évacuer ainsi toute réalité physique éventuelle au phénomène OVNI. Une attitude partisane qui pré-suppose le résultat que l'on est censé démontrer.

Inutile de dire que la lecture de ce mémoire a confirmé mes craintes. L'ufologie n'est que brièvement abordé (le mot OVNI n'est cité par exemple que 10 fois), noyée au milieu de dizaines d'autres phénomènes réputés paranormaux sans aucun rapports entre eux, et évidemment toujours de manière biaisée et à charge (aucune citation de scientifiques "pro-ovnis").

La conclusion pour moi est claire, c'est une manoeuvre d'évitement. M. Abrassart ne m'a suggéré de lire et commenter ce texte, "plus abouti" de sa part, que pour détourner l'attention vis à vis de nos échanges épistolaires passés. Son article paru sur le site de l'AFIS "10 raisons de ne pas croire aux ovnis", plus centré sur le sujet (les ovnis), était définitivement mauvais. J'y ai répondu et j'ai publié ma réponse sur mon site. M. Abrassart préfère aujourd'hui que mes lecteurs en restent là et ne puisse lire aucune réplique de sa part.
Etonnant ? Pas tant que cela. M. Abrassart, en tenant de l'hypothèse "psycho-socio", est fort mal à l'aise sur le terrain du réel, sur l'analyse concrete des cas, "les mains dans le cambouis". Il préfère s'appuyer pour cela sur les enquêtes d'autres sceptiques, qui vont évidemment dans son sens (CNEGU, Hallet, Maillot, Pindivic notamment), en négligeant le travail de ceux (dont des scientifiques) qui aboutissent à une conclusion opposée.

Enfin, comme il le dit au début de son chapitre 2, "Une façon d'approcher le débat sur le paranormal est de contourner le problème de sa réalité". Phrase selon moi doublement révélatrice :
Afin que chacun puisse se faire son opinion voici néanmoins mes commentaires sur les 2 premiers chapitres (29 pages soit près de la moitié du document, hors annexes).
J'ai eu du mal en effet à aller plus loin dans un texte qui affirme doctement que les personnes qui "croient" aux ovnis sont des personnes "narcissiques, crédules, dogmatiques, inaptes dans les capacités intellectuelles basiques", qui sombreraient dans "l'anxiété et la détresse psychologique" sans la "béquille mentale" d'une croyance. Un texte qui inisnue que cette "tare" proviendrait soit d'un "traumatisme dans leur enfance (père alcoolique ...)", soit "d'une origine génétique" ! Un texte enfin qui sous-entend que les rares scientifiques qui défendent ces 'croyances' auraient une posture post-moderne proche du nazisme (via le constructivisme).

Une telle accumulation d'attaques outrancières et ad hominem, s'il confirme l'approche non objective de son auteur sur ces phénomènes, laisse également songeur quant à l'esprit critique du jury universitaire qui a validé ce mémoire.

Chapitre 1 : la nébuleuse paranormale

p13 : selon M. Abrassart "L'ufologie est une croyance paranormale car ces phénomènes sont contestés par la communauté scientifique (Condon 1968, Frazier Karr & Nikell 1997, Hallet 1989, Pindivic 1993)"

Cette réfutation de la réalité même du phénomène OVNI est plus que légère :
Bref, cet appel à l'autorité tombe à plat. Il se résume en fait à de l'auto-référence interne au petit milieu des "sceptiques", et à une étude scientifique, certes célèbre, mais très controversée. Il passe évidemment sous silence que d'autres études ont abouti à des conclusions plus nuancées, voire plutôt favorables. Citons par exemple :
En fait, sauf quelques rares exceptions, la communauté scientifique se désintéresse totalement des OVNIS depuis justement le rapport Condon en 1969. Ce serait inutile et inefficace pour un chercheur (il n'obtiendrait aucun budget), voire très dangereux pour sa carrière (sujet tabou, sauf pour quelques rares thèses de sociologie ou de psychologie, abordant ce thème sous l'angle exclusif de la croyance).
En public en tous cas. Car en privé nombre de scientifiques se montre bien plus ouverts à la question ...

Mieux encore, sur le très petit nombre de vrais scientifiques qui ont étudié à fond le phénomène, une majorité penche plutôt en faveur de la réalité du phénomène (Josef Allen Hyneck (astrophysicien), James Mc Donald, Stanton Friedman (physicien nucléaire), Bruce Macabee , Richard Haines, Auguste Meessen (Professeur à l'UCL ou étudie M. Abrassart), Jean-Pierre Petit (physicien, ex directeur de recherche au CNRS), Pierre Guérin (astonome, IAP), ...). Sans compter des ingénieurs du CNES ayant véritablement une connaissance approfondie du sujet sur plusieurs dizaines d'années tels Claude Poher ou Jean-Jacques Velasco.
Dans le camp adverse des "anti-ovnis" on trouve plutôt des journalistes ou amateurs passionnés (Philip Klass, Robert Scheaffer, ..), mais très peu de scientifiques, sinon aucun. Dans le passé citons : Donald Menzel (avec une mauvaise foi qui permet sans ambiguité de le classer dans les "debunkers"), et Carl Sagan (avec des nuances toutefois pour ce dernier, il croit à la vie ET par exemple), tous deux décédés. Aujourd'hui seul l'ingénieur de la NASA James Oberg donne un semblant de caution scientifique à la négation du phénomène ovni.

p14 (§ e-scepticisme)  :
Cette définition du scepticisme est un peu courte et biaisée. Elle mélange allégrement trois notions qui ont plus que des nuances entre elles : scepticisme (au sens actuel de "croyance négative"), zététique (Henri Broch, cercle zététique), et debunking (qui a un sens bien différent, plus extrème, incluant la mauvaise foi), tout en passant sous silence le scepticisme historique et philosophique grec (le doute pur et dur du "je-ne-sais-pas" de Zénon).

p15 (§ f-sciences humaines) :
Là encore l'auteur révèle clairement ses biais de méthode et ses a prioris de jugement :

a) appel fallacieux à l'autorité (bis)
M. Paul Eric Blanrue est qualifié d'historien alors que c'est avant tout un membre du Cercle Zététique, association partisane et relativement confidentielle d'amateurs luttant contre toute croyance "paranormale". Certes il est "diplômé en histoire", comme l'indique son site, mais il semble n'exercer aucune activité scientifique ou de recherche au sens où l'entend usuellement la communauté scientifique.
Il a choisi en revanche de mener un combat grand public, en publiant des livres dénonçant le paranormal ou les croyances en général.  En dehors de cela il vit de ses talents de scénariste et dialoguiste. Il aime par ailleurs beaucoup se médiatiser, donner des conférences ou mieux, passer à la télévision dans des émissions où il pourra dire tout le mal qu'il pense des gens qui "croient au parnormal". Comme on pourra le constater sur son site , Monsieur Blanrue, malgré des tentatives d'humour omniprésentes (un trait caractéristique des "sceptiques", voir par exemple le site du CNEGU ou celui de Dominique Caudron), semble avoir un ego assez grand (il parle constamment de lui à la 3ème personne).

b) deux poids et deux mesures
A propos des quelques rares sociologues ayant écrit "à charge" à propos des phénomènes ufologiques, l'auteur généralise aussitôt en "LES sociologues et anthropologues ...", comme pour leur donner plus de poids. Mais à propos des tout aussi rares sociologues ayant écrit plutôt en faveur des phénomènes ufologiques, l'auteur croit bon d'ajouter les qualificatifs équivoques de "contructivistes" et surtout "post-modernes" :

p16 (3.b méthode quantitative)
L'auteur déplore que les défenseurs des ovnis se basent "trop" sur les témoignages "auto-rapportés".

Remarquons d'abord la quasi-lapalissade du terme "auto-rapportés". Il est bien évident que ce sont les témoins d'un phénomène apparamment anormal qui vont venir le rapporter (à une autorité, à un ufologue, à un jounaliste). On imagine mal des enquêteurs ou scientifiques interrogeant systématiquement et préventivement des pans entiers de la population, juste au cas où certaines personnes sondées auraient quelque chose de "paranormal" à raconter !

Et puis comment peut-on se plaindre de "trop" de témoignages, et sur quoi se baser d'autre ? A part quelques illuminés, l'immense majorité des ufologues n'est que trop heureuse d'enquêter sur autre chose de plus "concret" : traces d'atterrissage, photos, videos, etc. Mais ces traces sont très rares, et les témoignages sont et de loin la matière première principale de plusieurs phénomènes paranormaux, dont les ovnis. Voilà tout.
Une vraie approche scientifique, consiste à étudier le phénomène tel qu'il se présente à nous, et non pas de rêver d'un phénomène idéal (par exemple qu'une soucoupe volante se pose sur la paillasse d'un labo et que son pilote aille de lui même se mettre sous l'objectif du micrsocope).

Chapitre 2 : la croyance au paranormal

Et maintenant voilà le tour de passe-passe ! Sans rien avoir démontré du tout au chapitre 1, et en particulier l'inexistence des ovnis ou de tout autre phénomène paranormal, M. Abrassart fait un glissement sémantique majeur, et auto-qualifie désormais de "croyance" toute allégation paranormale.
Oh certes il ne dit pas brutalement que le paranormal n'existe pas. Il présente cette étude de "la croyance au parnormal" comme une simple méthode différente d'investigation du paranormal, mettant simplement de coté sa réalité. Un autre angle d'approche finalement, ni plus ni moins valable qu'un autre.
Bin voyons. C'est comme si je disais : "mettons de coté la réalité du Boson de Higgs ou des super-cordes, et étudions désormais la 'croyance' qu'ont les scientifiques d'aujourd'hui dans ces entités mystérieuses". Vous imaginez le tollé - justifié - dans la communauté des physiciens.

Par ailleurs, se révèle vraiment dans ce chapitre tout le danger de cette approche : les aspects ufologiques (qui seuls m'intéressent ici rappelons le) sont noyés au milieu d'une dizaine d'autres phénomènes réputés paranormaux ou miraculeux, sans aucun rapport entre eux. C'est l'une des nombreuses ruses listées par Schopenhaueur dans son célèbre "l'art d'avoir toujours raison" : élargir et généraliser suffisamment le propos de son adversaire, jusqu'à le rendre inepte.

Notons au passage que toutes ces interprétations des résultats de sondages sont de la spéculation pure et simple. Pour exemple la page 24 et 25, où les hypothèses les plus pifométriques - et parfois incompatibles entre elles - sont avancées pour expliquer la plus grande croyance de telle ou telle catégorie de sondés.

2.3 : les traits de personnalité

Là les choses se corsent. Ceux qui croient au paranormal (moi aussi donc, puisque je "crois" aux ovnis) sont d'entrée qualifiés de "crédules, dogmatiques et inaptes dans les capacités intellectuelles basiques" selon James Alcock (1981). Fichtre ! Voilà un garçon (Alcock) avec qui je n'irai jamais en vacances.
Un peu plus loin, la "croyance au parnormal" est rapprochée de la schizophrénie, et de la maniaco-dépression.
Bonne nouvelle ensuite, les "croyants" sont moins sujets à l'anxiété et à la détresse psychologique que les sceptiques. Mais l'auteur retourne aussitôt l'argument (qui aurait pu nous paraitre favorable) en concluant que cette croyance nous sert en quelque sorte de "béquille mentale". Sous entendu, les sceptiques, plus solides et sains mentalement , n'ont pas besoin de cet artifice.
Suite de la litanie des défauts du "croyant" : il est narcissique.

Mais c'est au paragraphe d), pages 26 et 27 que M. Abrassart atteint le pire. Il indique sans rire que la croyance au paranormal pourrait avoir une origine génétique ! On croit rêver. Si l'on ne pense pas comme M. Abrassart c'est que l'on a un "défaut", une "tare" génétique. Encore heureux que les sceptiques me laissent encore le droit de me marier et d'avoir des enfants. Quand je pense que j'ai déjà transmis mon patrimoine génétique vicié à mon fils .... beuh ...

Le § 2.4 ressort ensuite l'explication passe-partout du "traumatisme durant l'enfance". Explication bateau pour expliquer les actes d'un serial-killer ou serial-violeur, c'est la première fois que je l'entends pour expliquer que des gens éduqués et bien intégrés socialement, après avoir étudié à fond le dossier OVNI pendant des années, concluent à la réalité d'un phénomène hors normes.

p28 : les croyants au paranormal seraient de profil plus "artistiques" que "logique".
Désolé, tout faux. Le milieu ufologique est assez équilibré : beaucoup de littéraires (mais est ce incompatible avec la "logique" ?) mais aussi beaucoup de techniciens, ingénieurs, scientifiques. Moi même j'ai une culture et une formation scientifique (ingénieur), et j'ai toujours préféré la logique à l'artistique.

Ce pseudo-résultat scientifique, comme d'ailleurs l'intégralité de ce chapitre est en fait biaisé : comment a été choisie la population "croyante" sondée ? Il est evident que si l'on mélange la mamie qui croit à la lecture de l'avenir dans les tarots de Marseille, et le scientifique du CNRS qui étudie le phénomène OVNI pendant 40 ans et conclut à sa réalité, on compare des choux et des carottes.

Or M. Abrassart ayant mis de coté l'éventualité réalité des phénomènes paranormaux allégués, il est bien évident que toutes ces enquêtes visent une masse la plus large et non filtrée de "croyants". Aucune différence n'est faite entre la personne crédule et naîve qui achète le dernier gri-gri porte bonheur vu à la télé, ou consulte sa voyante chaque mois avant toute décision minime, et l'ingénieur ou scientifique qui enquête patiemment sur le terrain, relève avec méthode les témoignages et indices, les analyse, les compare, élabore un modèle et le soumet à l'expérience, confronte ses hypothèses avec d'autres personnes (y compris des sceptiques). Les deux sont qualifiés de "croyants", mais les seconds sont hélas bien plus rares que les premiers.

Conclusion

Cette étude n'a d'objectif et de scientifique que l'apparence. Bien que présenté dans les formes académiques, et agrémenté d'innombrables citations et appels à l'autorité pour "faire sérieux", ce texte n'est qu'un acte de foi. Comme de plus il n'aborde que très peu la problématique OVNI, et pas du tout les raisons d'y croire ou pas, j'arrête donc là ma lecture.




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Article créé le : 22/05/2005 ; Révisé le : 30/05/2005
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