Un article de Gildas Bourdais (ufologue, écrivain)
(article publié également sur Le Journal de l'Ufologie)
On sait que le service français d’étude des ovnis
vient d’être réactivé au CNES, en septembre
dernier. Prenant le nom de GEIPAN, il est placé sous la
présidence prestigieuse de M. Yves Sillard, l’ancien
Directeur général du CNES qui avait justement
créé le GEPAN en 1977. Cette relance n’est sans
doute pas due au hasard, alors que l’ufologie, en France et dans
d’autres pays, après avoir connu un recul au cours des
années 90, semble reprendre une certaine vigueur. On a vu
paraître en France ces dernières années une
série de livres et de documents allant dans ce sens, à
commencer par le rapport du Cometa, paru en juillet 1999.
Récemment, les premières « rencontres
européennes » de Châlons-en-Champagne, qui ont
connu un succès incontestable avec plusieurs milliers de
visiteurs en trois jours, ont été l’occasion de
vérifier ce regain d’intérêt, qui se
manifeste aussi sur Internet. Par contre, le scepticisme continue
à prévaloir en France, semble-t-il, dans le monde
intellectuel et médiatique. En l’occurrence, ces deux
événements ont eu, en France, un impact contrasté
et contradictoire. S’ils ont été bien accueillis
par certains, notamment dans la presse régionale et à la
radio RFI, certains journaux importants continuent à ne voir
qu’un « déclin » de
l’ufologie, et ont même passé presque
complètement sous silence la création du GEIPAN.
C’est le cas des articles parus dans Libération du
15 octobre, Le Monde du 19 octobre, et Le Nouvel
Observateur du 27 octobre.
Pourquoi des réactions aussi
négatives dans ces « grands »
médias français ? Il y a là matière
à réflexion. Parmi les intervenants qui ont pu donner le
ton figure en bonne place le sociologue Pierre Lagrange, que l’on
a beaucoup lu, vu et entendu ces dix dernières années,
avec un discours réducteur. Il me semble donc opportun de faire
le point sur son influence dans les médias français, au
fil des ses articles et des références faites par les
journalistes à ses écrits.
Juin 1995 – Numéro Hors série de Sciences et Avenir sur les « parasciences »
Article de Pierre Lagrange : « L’invention des ovnis ».
La revue annonce en couverture le programme de ce numéro
spécial : « Parasciences. Le vrai, le faux et
l’idiot ». En sous-titre :
« Astrologie, télépathie, voyance,
radiesthésie, extraterrestres ». En fond de
couverture, une belle voyante avec sa boule de cristal. Pierre Lagrange
en est le conseiller scientifique. L’article de Lagrange,
« L’invention des ovnis » mérite un
examen attentif car il illustre bien, me semble-t-il, sa
démarche particulière sur cette question. Le titre, le
chapeau et le début de l’article ont un ton très
négatif, mais l’auteur nous livre ensuite une dissertation
plus subtile. Un mot, d’abord, sur le titre. Cette
expression est fréquente chez Lagrange. S’agit-il
simplement de l’invention de l’expression
« soucoupe volante », en 1947, après le
témoignage historique de Kenneth Arnold ? En fait la
plupart des lecteurs comprennent, évidemment, que les histoires
d’ovnis sont des fables, comme l’explique clairement
l’astronome Pierre Guérin dans son livre OVNI. Les
mécanismes d’une désinformation (Albin Michel,
2000) :
« Le choix du mot « invention »
n’est pas innocent, et nous avons là un exemple parfait de
la façon dont Lagrange suggère plutôt qu’il
n’affirme. La façon dont le mot est employé
n’est pas faite pour laisser croire qu’il s’applique
à l’expression « soucoupe volante »
(qui fut effectivement inventée à cette époque),
mais pour suggérer que c’est la soucoupe elle-même
qui a été « inventée », ce
qui est une façon de la réduire à une vue de
l’esprit en la privant de son statut d’objet volant
réel ».
Notons que Lagrange n’est pas le seul à user de cette
expression. C’est aussi par exemple le cas de Michel Meurger et
Serge Lehman, dans un article de Ciel et
Espace d’avril 1996, totalement sceptique, intitulé
« Qui a inventé les soucoupes
volantes ? ».
Le sous-titre de l’article de Lagrange renforce cette
impression négative : « Depuis le premier
témoignage de Kenneth Arnold en 1947, les apparitions de
soucoupes volantes n’ont pas cessé de se multiplier. Aux
Etats-Unis, on évalue aujourd’hui à plus de 3,5
millions le nombre d’Américains qui affirment avoir
été kidnappés par des
« visiteurs ». Délire collectif ou
“ phénomène aérospatial non
identifié” ? »
Ce sous-titre fait un amalgame entre observations d’ovnis
et témoignages d’enlèvements, suggérant
ainsi qu’ils relèveraient d’un même
« délire collectif ». De plus, il fait
allusion de manière inexacte au fameux sondage Roper
réalisé en 1991. Les auteurs du rapport n’ont pas
« affirmé » qu’il y avait 3,5
millions d’enlevés. Il ont seulement établi que,
parmi les 5947 personnes sondées, 119, soit 2% de
l’échantillon, avaient répondu oui à quatre
ou cinq questions sur six, telles que le souvenir d’un
« temps manquant », ou la présence
d’une cicatrice d’origine inconnue, pouvant
indiquer qu’elles ont été victimes d’un
enlèvement. Le même pourcentage, appliqué à
la population adulte de 185 millions d’habitants,
représentait 3,7 millions de personnes. Mais il n’y a
jamais eu un tel nombre d’Américains
« affirmant » qu’ils avaient
été enlevés ! C’était donc, de
la part de Lagrange, une interprétation trompeuse,
suggérant qu’il y avait une sorte de
« délire collectif » dans ce pays. Il faut
peut-être regretter, d’ailleurs, que certains auteurs
favorables à la réalité des enlèvements
l’aient également cité de cette manière
abusive.
Les premières lignes de l’article de Science et Avenir
continuent à donner une impression négative :
« Nous aimerions bien croire aux ovnis, reconnaissent
les scientifiques, mais comment se contenter d’une collection de
témoignages disparates pour établir l’existence
d’un phénomène ? Et puis, de quoi
parlons-nous ? D’objets, de phénomènes,
d’hallucinations, de vaisseaux martiens ? ».
Cependant, Lagrange devient ensuite plus subtil, suggérant
qu’il y a des ufologues qui travaillent sérieusement (ils
font même des statistiques !), et que les scientifiques
devraient bien se pencher sur leurs travaux, en mettant de
côté leurs préjugés. L’article se
termine sur cette bonne recommandation :
« Si le physicien
et le sociologue veulent s’intéresser aux ovnis, il faut
qu’ils apprennent à ne pas trop réduire ces
objets à leur propre cadre de pensée ».
Ainsi, en dépit du titre et sous-titre négatifs, certains
plaident qu’il y avait là un effort
d’ouverture sur le sujet. Pourtant, comme on est loin de certains
articles antérieurs ! Je pense à ce dossier sur les
ovnis, publié dans Sciences et Avenir de septembre 1972,
intitulé « Des astronomes ouvrent le dossier des
objets volants non identifiés ». Y figurait un
article dense, de 18 pages, de Pierre Guérin, maître de
Recherches au CNRS, qui présentait notamment des statistiques de
Claude Poher, ingénieur au CNES (prélude à la
création du GEPAN cinq ans plus tard).
Revenons en 1995. Il y a aussi, dans l’article du
même Sciences et Avenir, signé Lagrange, un encart
sur Roswell qui annonce déjà le bombardement intense
auquel on va assister au cours des mois suivants. Titre de
l’encart : « La guerre des mondes se
refroidit ». Lagrange s’y aligne intégralement
sur la thèse de l’US Air Force de 1994 :
« Dans son rapport qui ne contenait pas moins de huit
cents pages d’annexes, l’armée de l’air a
reconnu que l’ « ovni »
n’était pas un ballon météorologique
ordinaire, mais un ballon stratosphérique
développé dans le cadre du Projet Mogul »
Notons la présentation trompeuse du rapport de l’Air
Force. Celui du 8 septembre 1994, publié au nez et à la
barbe du GAO (l’organisme du Congrès alors en pleine
enquête sur Roswell), ne faisait que 22 pages. Les
« 800 pages d’annexes » ne sont alors
visibles qu’à la bibliothèque du Pentagone, et
seront publiées en octobre 1995 dans le fameux Roswell
Report qui atteindra le millier de pages). En fait, Pierre
Lagrange avait déjà fait une démolition en
règle de Roswell au début de l’année dans la
revue ufologique Ovni Présence (février 1995).
Son article « Pulp History. La soucoupe volante qui
venait de la planète Mogul » s’alignait
déjà sur la thèse du ballon
« Mogul » de l’armée de l’Air
américaine.
Eté 1995 : La crise de Roswell
En juin 1995, un petit producteur de musique britannique, Ray Santilli,
commence à commercialiser le film très controversé
de l’autopsie d’un être étrange, qui est selon
lui un extraterrestre trouvé à Roswell en 1947,
acheté à un vieux caméraman américain. Ce
film va faire le tour du monde, en France dans deux émissions de
Jacques Pradel sur TF1 (en juin et en octobre), et va faire un beau
scandale. Joël Mesnard, directeur de la revue Lumières dans
la Nuit, et moi, avions emmené l’assistant de
Jacques Pradel Nicolas Maillard à Londres à une
première projection, le 5 mai. Nous en étions revenus
très perplexes (nous le sommes toujours), et Nicolas
était même sceptique, mais son patron s’était
ensuite emballé et avait acheté les droits pour la
France. Il ne se doutait pas de ce qui l’attendait dans la
presse ! Au cours de l’été, tout va être
alors mélangé – l’autopsie, l’affaire
de Roswell proprement dite, le rapport du Congrès
américain (paru discrètement fin juillet) – dans
une totale confusion. Force est de constater que le ton et les premiers
coups de canon ont été donnés en France par Pierre
Lagrange, dès le début du mois d’août.
Dans Science et Vie d’août 1995, paraît
un premier article, de 9 pages, signé Lagrange. Titre :
« La Grande arnaque ». Sous-titre :
« Un manipulateur mercantile, Ray Santilli, a
décidé d’exploiter la crédulité du
public. Il relance une vieille affaire d’ovnis, le crash de
Roswell, en vendant un film à sensation. Les médias
apportent leur caution. Et, pourtant, aucun élément de
cette affaire n’a résisté à notre
enquête ».
C’est un amalgame incroyable entre le film et le dossier de
Roswell, avec des arguments qui seront repris l’année
suivante dans son livre La rumeur de Roswell. Or le seul lien avec
l’affaire du crash d’un ovni à Roswell en 1947 est
que Ray Santilli l’a dit, citant le mystérieux
caméraman que personne n’arrivera à rencontrer.
Cet article est déjà un beau matraquage du vrai dossier
de Roswell. En voici juste un exemple, au sujet des débris de
ballons montrés à la presse le 8 juillet au soir, par le
général Ramey, flanqué de son adjoint, le colonel
DuBose. Ce dernier, une fois devenu général à la
retraite, va devenir l’un des témoins importants, avec une
déposition écrite signée devant un notaire (un
« affidavit »), déjà reproduite
dans plusieurs livres à ce moment, même dans celui du
sceptique Karl Pflock, tenant du ballon Mogul. DuBose y dit clairement
que les débris de ballon étaient un
« cover-up » pour cacher les vrais
débris :
« Le matériel montré dans le bureau du
général Ramey était un ballon météo.
L’explication par le ballon météo
était une couverture pour détourner l’attention de
la presse » (« The material shown in the
photographs taken in Major General Ramey’s office was a weather
balloon. The weather balloon explanation for the material was a cover
story to divert the attention of the press »).
Or Lagrange ose écrire dans son article de Science et
Vie :
« Un autre témoin, le
général DuBose, également présent à
la séance de photos, a lui aussi affirmé que les
débris photographiés étaient ceux de la
soucoupe ».
Et il ajoute que des ufologues lui ont fait
changer d’avis, ce qui « illustre la fragilité
d’un témoignage qui s’appuie sur des souvenirs vieux
de quarante ans » ! J’ai lu quasiment tout ce qui
a été publié sur Roswell, j’ai correspondu
avec les enquêteurs, pour ou contre Roswell, et j’affirme
qu’il n’existe aucun autre texte où le
général DuBose aurait dit le contraire de son affidavit.
En fait, il a dit que le matériel n’avait pas
été changé dans le bureau de Ramey, mais que les
vrais débris n’y avaient jamais été
étalés devant la presse, et que lui-même ne les
avait jamais vus ! Je vais revenir sur ce genre d’argument
à propos du livre de Lagrange, mais je renvoie, pour
l’histoire détaillée, le lecteur à mon livre
Roswell. Enquêtes, secret et désinformation (JMG, 2004).
C’est dans cet article qu’apparaît l’argument
du « sang vert », cité comme preuve du
canular en légende d’une photo du film. Mais le film
était en noir et blanc, et Jacques Pradel en avait
déjà présenté quelques images à TF1
fin juin ! Lagrange a plaidé que c’était une
bourde de l’équipe de Science et Vie, ce qui est possible,
mais ce détail reste intéressant dans la perspective qui
nous occupe, celle de l’impact médiatique. Le
détail du sang vert a été en effet reproduit un
peu partout, en premier lieu dans un nouvel article cosigné par
Lagrange, dans Libération du 8 août (il a dit
également que ce n’était pas sa faute, mais le
détail était cette fois dans le corps de
l’article : admettons-le mais cela signifie qu’il
n’avait pas relu le texte final, sur cette affaire si complexe et
controversée). Nicolas Maillard, l’assistant de Jacques
Pradel et ami de Lagrange, l’avait surnommé
« le traceur des copieurs » (On le retrouve, par
exemple, dans Télérama, TéléK7, Le
Parisien…).
L’article de Libération du 8 août 1995
« L’armée US dégonfle ses
ovnis »
J’ai déjà cité souvent cet article car il
contient une énorme contre-vérité, dès le
sous-titre :
« Une commission du Congrès met un coup
d’arrêt à une vieille rumeur ». Que
signifie cette phrase sibylline ? L’article est confus, mais
l’encart résumant l’affaire est clair :
« Août 1995. Les conclusions de l’enquête
du GAO reprennent la version de 1994 de l’US Air
Force ». C’est à dire, le train de ballons
Mogul. Or ceci est totalement faux ! Le rapport du GAO, qui
a été rendu public discrètement le 24 juillet
(occulté d’ailleurs par le
« scandale » du film) donne sobrement son
opinion : « L’enquête sur ce qui s’est
écrasé à Roswell continue ». Cela ne
faisait que confirmer ce que des journalistes avaient
déjà indiqué quelques semaines plus tôt,
notamment dans le Washington Post, à savoir que le GAO ne
croyait pas à l’histoire des ballons, et sentait
qu’il enquêtait sur une affaire très
« chaude ».
La presse de l’été 1995 emboîte le pas
à Lagrange et est massivement hostile, non seulement au film,
mais aussi, forcément, à l’histoire de Roswell. Par
exemple, Télérama du 9 août écrit, dans
un article intitulé « L’E.T. sera
show », faisant référence trois fois à
Lagrange (et copiant le sang vert !) :
« Ca fait
série Z à bon marché, très morbide, avec un
côté cannibale », remarque le sociologue Pierre
Lagrange, auteur de l’article de « Science et
Vie ».
Sur Roswell, poursuit l’article, Lagrange se plaint qu’on
escamote le contexte de l’époque :
« la
guerre froide, la méfiance de l’armée, qui a fait
des mystères de riens ».
Quel est le sens de cette
phrase curieuse ? Les aviateurs de Roswell ont-ils cru trouver une
soucoupe volante à cause de l’ambiance de la guerre
froide ? En fait, elle n’était pas encore vraiment
commencée, cette guerre froide, mais qu’importe ! Et
Lagrange s’inquiète de la psychose qui règne aux
Etats-Unis en 1995, même au fameux Larry King Show. Mais la
journaliste Anne Simonot nous rassure pour finir :
« La
France n’en est pas là. Ovnis et extraterrestres y sont
toujours croqués à la sauce grand-guignolesque,
agrémentée le cas échéant d’un sens
mercantile très terre à terre » .
Oui,
la France en est là, avec quelques exceptions.
Le 29 août, Michel Polac fait une émission sensationnelle
sur Arte avec un faux film d’autopsie en Russie,
aussitôt dénoncé. Lagrange est sur le plateau,
à côté, notamment, du
« zététicien » Henri Broch, et tout
le monde casse du sucre sur l’autopsie, sur Roswell, et sur la
crédulité populaire. L’historien Paul Veyne appelle
le film de l’autopsie une « grotesquerie ».
Le lendemain, Le Parisien commente : « Hier soir,
Michel Polac a poussé un « coup de
gueule » inattendu sur Arte . La polémique prend
subitement de l’ampleur ». L’article cite aussi
le sang vert, et la sentence tombe :
« L’irrationnel a de beaux jours devant lui. Le
commerce aussi ».
Le Journal du Dimanche du 17 septembre titre en pleine
page : « Le nouveau complot des
extraterrestres », avec comme sous-titre :
« Ils sont de retour (en tous cas à la
télé). Ils permettent de faire de très bonnes
affaires, merci. Enquête sur un phénomène de
société qui va de l’amusant à
l’inquiétant. Comment se fabrique une soucoupe volante.
Des chercheurs aux illuminés, l’histoire des
ovnis ». Lagrange y est cité à plusieurs
reprises. Par exemple, dans un paragraphe intitulé
« Le marché de la soucoupe
d’occasion » :
« Les
mécanismes observés dans le cheminement des principales
affaires d’extra-terrestres sont rigoureusement identiques
à ceux des grandes rumeurs étudiées par les
sociologues »
Et sur le dossier des enlèvements
extraterrestres, devenus selon lui un « véritable
sport national aux Etats-Unis », ou « des
centaines de milliers d’Américains sont persuadés
d’avoir été kidnappés par des
E.T. » . Lagrange fait aussi le rapprochement
avec l’extrême droite, un thème qu’il va
reprendre dans son livre La rumeur de Roswell. Certes , il
n’est pas tout seul dans ce travail de sape, on y cite
aussi dans l’article des sceptiques comme Michel Meurger, Perry
Petrakis et Yves Bosson, mais il se détache assez nettement
comme un « leader d’opinion ».
Octobre : L’émission de Jacques Pradel à TF1
L’émission de Jacques Pradel, du 23 octobre 1995,
présentant le film de l’autopsie, qui a été
en fait bien menée de bout en bout, a cependant aggravé
les choses dans les médias, au point que l’on peut
même parler de lynchage médiatique de Pradel dans certains
journaux. Des ufologues se joignent à la réprobation
générale et enfoncent le clou, par exemple dans
TéléK7 (qui cite aussi le sang vert). Dans Le Figaro du
23 octobre, une pleine page est intitulée « La
fumisterie qui venait de l’espace ». Je suis
cité à la suite d’une réunion de presse
où avait été présenté mon premier
livre sur Roswell, Sont-ils déjà là ? Le
journaliste Olivier Delcroix, qui y avait assisté, me cite
correctement, soutenant l’affaire de Roswell mais prenant mes
distances avec le film de Santilli. J’ai dit, en effet :
« Pour moi, cela sent très fort la manipulation des
services secrets » (je n’ai pas changé
d’avis depuis, bien au contraire). Mais Delcroix cite
aussitôt Lagrange qui me réfute brutalement :
« La thèse de la manipulation par les services
secrets, c’est un truc classique des ufologues. Chaque fois
qu’une révélation faite par cette petite
communauté s’avère fausse, ils se réfugient
derrière cette thèse paranoïaque ».
Ainsi, pour Lagrange, oser évoquer une possible manipulation,
c’est être paranoïaque ! Je renvoie le lecteur
à mes deux derniers livres pour une discussion sérieuse
de cette question. Je rappelle juste, en passant, que William Moore
– l’auteur du premier livre sur Roswell en 1980 -
avait avoué publiquement, en 1989, avoir été
enrôlé peu après la parution de son livre par les
services de renseignement de l’Air Force (l’AFOSI) pour
espionner les ufologues et faire passer de la désinformation
« amplifiante » (la base alien de Dulce), par le
canal de l’ingénieur trop crédule Paul Bennewitz,
qu’ils avaient rendu fou. Comme je l’ai expliqué
dans mon livre Roswell. Enquêtes, secret et
désinformation, Il y a de bonnes raisons de supposer que le film
de l’autopsie était une opération du même
genre.
Dans un nouvel article de Science et Vie de novembre 1995,
« Roswell. Autopsie d’une imposture »,
Lagrange prétend régler leur compte ensemble, en six
pages virulentes, à l’autopsie et au crash de Roswell,
pratiquant toujours le même amalgame entre les deux affaires
(mais les descriptions faites par les témoins de Roswell ne
collent pas du tout avec ce cadavre assez corpulent !). Il serait
excessivement long et fastidieux de reprendre les détails de ce
mauvais article : pour un exposé détaillé sur
Roswell, je renvoie de nouveau le lecteur à mon livre.
Les articles qui précèdent sont de l’artillerie
lourde pour grand public, mais Pierre Lagrange sait aussi
écrire pour un lectorat plus exigeant, avec des arguments plus
subtils. C’est le cas d’un article publié en octobre
dans la revue La Recherche, intitulé sobrement
« Extraterrestres, scientifiques et
médias ». Le thème de l’article,
analysant l’émission de Jacques Pradel, est que
celui-ci utilise une démarche pseudo-scientifique,
marginale : « Pradel réussit un montage assez
délicat qui présente un redéploiement, dans un
cadre médiatique, du théâtre de la preuve. Un
théâtre qui met en place de nouveaux régimes
d’existence des faits, en marge de la preuve scientifique, en
multipliant les formes d’expertise ». Et plus
loin : « Quel espace, quel réseau déploie
Jacques Pradel ? Certainement pas celui du laboratoire et de la
preuve scientifique. Il réinvente un je-ne-sais-quoi qu’il
appelle à l’occasion démonstration scientifique, en
employant les mots de scepticisme, de preuve ».
En fait, sous ce ton assez convenable et policé, il y a, encore
une fois, une vraie démolition de l’émission
de Pradel, qui ne méritait pas cela. En menant son enquête
au cours de l’été avec son assistant Nicolas
Maillard, il était devenu très prudent, et son
émission d’octobre était bien
équilibrée, avec des experts qualifiés. Mais
c’était trop tard : la meute médiatique
était déjà lâchée.
Janvier 1996 : Les « rencontres rapprochées » vues par Lagrange
Un dossier sur les « rencontres avec des
extraterrestres » (les « rencontres
rapprochées », ou « RR3 ») est
publié en janvier 1996 dans Science et Vie Junior. Il est
confié à Pierre Lagrange, qui y présente
« un florilège des plus belles
histoires ». Le moins que l’on puisse dire,
c’est que la crédibilité de l’ufologie
n’en est pas sortie renforcée. On y voit
défiler « les gobelins de Kelly »
(l’affaire de Kelly-Hopkinsville), qualifiés gentiment de
« version soucoupique de La nuit des morts vivants ;
« les barbus au miroir » (l’affaire de
Cussac) ; « Le Vénusien pacifiste »
(l’affaire Adamski, bien sûr) ; « Les
astronautes de Socorro ».
Faisons un arrêt sur ce cas, un remarquable atterrissage
d’engin inconnu, décollant sous les yeux du policier
Zamora, près de Socorro au Nouveau-Mexique le 24 avril 1964, et
laissant des traces au sol. Lagrange écrit :
« Les enquêteurs de l’Air Force, habituellement
réservés sur ce genre de récit, repartiront
convaincus que Zamora a bien vu ce qu’il décrit :
à tous les coups un prototype du LEM (module d’exploration
lunaire). Mais la NASA n’a jamais
avoué ». Or ceci est faux ! Socorro est au
contraire l’un des rares cas pour lesquels la commission
« Livre Bleu » de l’Air Force a admis
n’avoir pas trouvé d’explication. Celle-ci, dans son
rapport du 8 juin 1964, a écrit que son investigation continuait
et que le cas restait ouvert. Le Major Quintanilla, chef de la
commission, a lui-même écrit ensuite, dans la revue de la
CIA Studies in Intelligence : « C’est le
cas le mieux documenté que nous ayons, et nous n’avons
toujours pas été capables, en dépit d’une
enquête poussée, de découvrir quel était le
véhicule ou autre stimulus qui avait effrayé Zamora
jusqu’à la panique » (cf. UFO
Encyclopedia de Jerome Clark, vol. 3, p. 462). Mais il a une objection
encore plus simple : le prototype du futur LEM, le
« LLRV » (« Lunar Landing Research
Vehicle »), fit son premier vol le 30 octobre 1964, six mois
après Socorro, et pas à White Sands mais à Edwards
(Dryden), en Californie ! De plus, son aspect encore fruste, avec
armatures métalliques apparentes et le pilote juché sur
son siège éjectable, ne pouvait pas prêter à
confusion. Nul doute que l’Air Force se soit informée
facilement auprès de la NASA sur ce projet qui
n’était pas particulièrement secret. Voir
l’historique sur le site de la NASA : www.nasa.gov/centers/dryden/pdf/89228main_TF-2004-08-DFRC.pdf (attention : format Acrobat )
Toujours dans Science et Vie Junior, Lagrange continue ce petit jeu
avec « Les kidnappeurs » de Betty et Barney Hill,
qui conclut sur une explication originale pour la carte des
étoiles, dessinée sous hypnose par Betty Hill:
« … le Français Michel Carrouges nota, de son
côté, que les tracés de la carte correspondent aux
grands axes autoroutiers du nord-est des Etats-Unis. En ce cas, les
visiteurs viendraient peut-être…de New York ».
Terminons cette revue des « RR3 » selon Lagrange.
« Pâtisserie d’outre-espace » raconte
le cas de Joe Simonton, auquel deux êtres dans une petite
soucoupe avaient offert des galettes qui s’avèreront
à l’analyse très ordinaires : « En
plus d’être somnambule, Joe serait-il en plus un
piètre pâtissier ? ». En fait, ce cas,
comme beaucoup d’autres, pose la question de mises en
scène trompeuses, mais l’idée était trop
compliquée, sans doute, pour une telle revue.
C’était plus facile de s’en amuser. Dans
« Amour exotique », l’affaire du
Brésilien Villas Boas, Lagrange conclut encore sur une note
humoristique, pas très drôle en fait :
« Autre question : qu’est-il vraiment
arrivé à Antonio Villas Boas ? Le médecin qui
l’a examiné a conclu qu’il avait été
irradié. Ah ! Quand on nous dit qu’il faut se
méfier des femmes… ». Enfin, dans
l’affaire de Valensole (atterrissage en France dans un champ de
lavande, avec témoin et traces au sol), Lagrange
s’interroge : « Les soucoupes sont-elles
désormais parfumées à la
lavande ? ».
Le livre La rumeur de Roswell, et la rumeur des ovnis
L’année 1996, qui avait mal commencé, s’est
aussi mal terminée, avec la parution du livre de Lagrange
La rumeur de Roswell. Là, il ne plaisante plus. Le dossier
du crash de Roswell y est laminé et incroyablement
caricaturé, comme je l’ai expliqué dans un article
précédent, « Roswell et la rumeur de
Roswell », dans lequel j’ai récapitulé
les témoins absents ou maltraités. Article paru dans la
revue LDLN N°356 de mai 2000, et à voir sur le site de
Ufocom à : http://www.ufocom.org/UfocomS/gildas991011.htm
Cette étude ayant pour but d’évaluer l’impact
médiatique des écrits de Lagrange, on peut tout de suite
se faire une idée sur celui qu’a pu avoir La rumeur de
Roswell, en lisant la quatrième page de couverture, qui montre
comment l’éditeur a compris le livre. Et l’on
comprend que le livre dépasse largement le cadre de
l’affaire de Roswell :
« Grâce à sa connaissance intime du milieu des
"ufologues", sur lequel il enquête depuis plusieurs
années, l'auteur brosse une étonnante galerie de
personnages hauts en couleurs, qui ne cessent de changer de camp,
révèle une foule d'anecdotes inconnues du grand public,
et montre comment l'invention des soucoupes volantes, puis celle des
"crashs d'OVNI" sont devenus des légendes modernes qui ne sont
pas près de disparaître de l'imaginaire de nos
contemporains ».
Ainsi, au delà de la controverse de Roswell, c’est tout le
dossier ovni qui est mis en doute dans l’esprit du lecteur. En
témoigne le titre du premier chapitre :
« Eté 1947, l’invention des soucoupes
volantes ». Décidément, cette
« invention des soucoupes » revient sans cesse
sous sa plume. Dans le deuxième chapitre, « depuis
quand les soucoupes viennent-elles de Mars ? »,
Lagrange joue avec le thème de l’influence de la
science-fiction dans cette « invention », mais il
se contente de le suggérer, non sans habileté,
plutôt que de l’affirmer, ne pouvant nier qu’il y a
eu des observations crédibles, et sachant donc bien
à quel point l’argument des ovnis nés de la S.F.
est artificiel. Il préfère citer son ami Bertrand
Méheust, l’un des spécialistes du thème avec
Michel Meurger (p. 34) : « Comme le note
l’ethnologue Bertrand Méheust, les
« crashs » d’ovnis évoquent
irrésistiblement ces histoires de science-fiction
d’avant-guerre … », ce qui lui permet tout de
même de planter l’idée dans l’esprit du
lecteur : « Les premières soucoupes supposées
venir de Mars résultent donc de la combinaison des observations
et du discours de la science-fiction ou de certains groupes
occultes ».
Un autre thème qui mérite d’être
souligné car il va être beaucoup repris dans les
médias, est celui d’une collusion des
« chasseurs d’ovnis » avec
l’extrême droite, auquel Lagrange a consacré
un chapitre, « Les extraterrestres votent-ils à
droite ? ». Le 15 décembre, Libération,
dans l’article « Le FN aux frontières de
X-Files », fait référence au livre de
Lagrange : « Plus récemment, le sociologue
Pierre Lagrange a décelé des liaisons dangereuses entre
milieux d’extrême droite, notamment américains,
et passionnés d’extraterrestres ».
Même son de cloche à Télérama du 14 au 20
décembre, avec ce titre en couverture :
« X-Files. A qui profite le complot ? ». Le
dossier de six pages se réfère au livre de Lagrange pour
faire cet amalgame assez infamant : « De solides liens
unissent l’extrême droite américaine, les milices
de « patriotes » qui font du gouvernement
leur cible privilégiée, et les chasseurs
d’ovnis ». En note, l’article renvoie à
La rumeur de Roswell : « Pierre Lagrange démonte
la supercherie de l'autopsie de la créature de Roswell et
raconte à quelles nécessités correspond
l'invention des soucoupes volantes ». Décidément,
« l’invention des soucoupes » continue
à faire une belle carrière médiatique.
L’hebdomadaire Le Point du 18 janvier 1997 fait lui aussi une
critique élogieuse du livre : « Discuter
de la vraisemblance de l’affaire n’intéresse pas le
sociologue. En revanche, il a mené un enquête
fouillée auprès de tous les acteurs de cette
« légende urbaine ». On y découvre
que la gestion de Roswell par l’armée et le FBI, soucieux
de dissimuler des expériences stratégiques en
période de guerre froide, n’a fait qu’encourager les
croyances ».
Et de conclure : « … des conférences sur
les ovnis où l’on dénonce sans rire des
gouvernements suspects d’avoir vendu leur pays à des
« envahisseurs » aux séries
télévisées style X-Files, c’est une certaine
vision « conspirative » du monde, voire
xénophobe, qui se propage ».
Incidemment, on voit là l’incidence très lourde de
la série X Files, dont on peut dire aujourd’hui
qu’elle a fait beaucoup de tort à l’ufologie, en
particulier sur les dossiers difficiles comme Roswell, le secret, les
enlèvements. En revanche, de vraies fortunes se sont faites en
exploitant ces « filons juteux », mais ce ne
sont pas les ufologues qui en ont profité, sauf en de rares
occasions.
Soulignons aussi le thème, souvent ressassé, par exemple
dans Libération du 12 avril 1997, commentant le livre de
Lagrange, de l’influence de la Guerre froide dans
l’apparition de la « légende
urbaine » des soucoupes volantes. Le petit article en
question, intitulé « Faux Martiens et vrais
cocos », ose faire cette caricature : « En ces
débuts de Guerre froide, peur des martiens et mobilisation
anticommuniste peuvent faire bon ménage et participer ensemble
au climat d’alerte maximale dans lequel le président
Truman engage les Etats-Unis d’Amérique. Cependant, si les
gens s’emparent de ce type de récit et les multiplient
c’est précisément parce que « les
histoires de crash appartiennent à un genre, les légendes
urbaines, et, à l’intérieur de ce genre, à
la catégorie des secrets gouvernementaux ».
Le thème de la guerre froide est bien présent,
effectivement, dans le livre de Lagrange, comme cause
d’hystérie « soucoupique », mais il
est vrai qu’il le situe plus correctement au début des
années 50, à propos de la commission scientifique
Robertson, réunie au début de 1953 par l’Air Force
et la CIA (p. 47) : « Les membres de la commission
s’inquiètent plutôt du
« bruit » provoqué par les nombreux
rapports d’ovnis qui risqueraient de noyer un
« signal » intéressant la Défense
(nous sommes en pleine guerre froide, faut-il le rappeler, et les
Américains s’inquiètent des prouesses
aériennes des Soviétiques) ».
De fait, la Guerre froide n’a vraiment
démarré qu’en juin 1948, avec le blocus de Berlin.
En juin 1947, l’année des soucoupes, Truman offrait le
plan Marshall à toute l’Europe, qui allait être
rejeté en bloc par l’URSS dès juillet. On
était encore loin de cette « hystérie
collective » censée avoir engendré la vague
des soucoupes en 1947. C’est pourtant l’idée que
l’on a souvent retenue dans les médias, en se
référant volontiers au livre de Lagrange. Il semble que
certaines idées passent, sans avoir été clairement
dites…
1997 : Le cinquantenaire des ovnis
Le vendredi 13 juin 1997, la chaîne Canal Plus commémore
à sa façon le cinquantième anniversaire des ovnis,
avec une grande émission, « La nuit
extraterrestre ». C’est aussi, bien sûr, le
cinquantenaire de l’affaire de Roswell, bonne occasion pour
la petite ville de Roswell d’y organiser une grande foire
commerciale aux ovnis, dont vont se repaître les journalistes.
Une chaîne a diffusé en France une émission en six
épisodes tournée sur place. Les journalistes y sont
allés, ne sachant rien sur Roswell (on voit passer, par hasard,
devant la caméra, Kevin Randle, non identifié), et en
sont repartis de même, persuadés que Roswell, c’est
une bouffonnerie.
La « grande » soirée de Canal Plus, le 13
juin, ne vaut guère mieux. Pierre Lagrange en est le
conseiller technique, mais la vedette en est le présentateur
Benoît Poelvoorde. Celui-ci se surpasse en pitreries, que
l’on pourrait trouver drôles à condition
d’oublier que l’enjeu des ovnis, c’est tout de
même celui d’une grande mutation culturelle qui se
prépare peut-être pour l’humanité. On le voit
même insinuer que le général de Brouwer a tendance
à voir des ovnis partout et est porté sur la
bouteille ! Commentaire dans Le Figaro du 15 juin : «
Il ne manquait plus qu’eux : les extraterrestres. En
attendant de tenir une conférence sur le perron de
l’Hôtel Matignon, ils ont passé la nuit sur Canal+.
Ils ont été reçus par un animateur belge, presque
aussi allumé qu’eux ». Pierre Lagrange,
cependant, tire bien parti de l’événement,
avec plusieurs articles, notamment Télé 7 Jours, faisant
référence à La rumeur de Roswell , qui
titre : « Professeur Lagrange. 7 raisons de ne pas
croire à Roswell ».
Parallèlement à son émission, Canal Plus publie
une brochure joliment illustrée, Sont-ils parmi nous ? La
nuit extraterrestre. Pierre Lagrange, coauteur, ne manque pas
l’occasion de brocarder Roswell, sa cible favorite, avec des
expressions comme « le grand complot », les
« partisans du complot », et le
« révisionnisme roswellien ». On y apprend
que, pour la première projection du film de l’autopsie, le
5 mai à Londres, n’avaient été
invités que « quelques privilégiés
triés dans le milieu des ufologues ». Encore une
erreur ! Il suffisait de le demander, comme je l’avais fait,
par Fax et par téléphone. Cela dit, en feuilletant le
petit livre, on remarque qu’il est parsemé
d’expressions et d’images dépréciant les
ovnis. La vague américaine de 1947, par exemple, est
illustrée avec un dessin humoristique particulièrement
ridicule du magazine Life (p. 9). Comme d’habitude, on y trouve
un peu partout l’appellation péjorative de
« soucoupiste » . Par exemple,
« les premiers soucoupistes » (p. 20), et les
« soucoupistes français » (p. 38). La
vague française (et italienne) de 1954 est titrée un peu
dérisoirement « France, terre
d’accueil », et tout à l’avenant. Plus
grave, on retrouve les arguments fallacieux de Science et Vie Junior,
déjà cités. Pour l’affaire de Socorro, sous
le titre « Le gendarme et les extraterrestres »,
on retrouve, en encart, l’idée que, pour les militaires
américains le policier Zamora avait vu en fait l’essai
d’un module lunaire (LEM) de la NASA (p. 30), une explication
fausse et ridicule, on l’a vu. Pour l’enlèvement
supposé des époux Hill, Lagrange ressert la carte, non
moins ridicule, des autoroutes américaines selon Michel
Carrouges (p. 33) ; pour l’affaire Masse, l’œil
accroche un sous-titre : « La soucoupe volante
était sans doute un hélicoptère » (mais
il est dit en bas de page que l’hypothèse fut
rejetée par la suite : c’est juste une petite
contradiction). Sur la vague belge de 1989, on voit un sous-titre
curieux : « Les débris d’un
mystère. Trois jours auront suffi pour donner une explication
à un phénomène étrange apparu dans le ciel
d’Europe ». Mais juste à côté,
dans le texte, il est dit que « quelque chose s’est
passé ; mais quoi ? ». Comprenons bien que,
dans ce genre de livre pour large public, ce qui compte le plus, ce
sont les titres, les sous-titres et les illustrations. C’est
pourquoi on peut dire que ce petit livre cosigné Lagrange
constitue un joli travail de sape des ovnis.
Dans Télérama du 4 juin 1997, Pierre Lagrange explique,
dans un entretien intitulé « L’invention des
soucoupes » (encore !) :
« Evidemment, on a toujours vu des choses. On parlait de
« fusée fantôme », de
« foo fighter »,
d’ « airship », mais ces
qualifications ne duraient pas plus d’une saison. En 1947, les
gens ont l’impression de découvrir vraiment quelque chose
de nouveau avec cette histoire de « flying
saucers » (…) C’est à cette
époque qu’on invente l’expression
“ soucoupe volante” ». Cette fois,
c’est donc bien l’expression « soucoupe volante
qui a été inventée. Cela dit, Lagrange y
expédie Roswell en deux coups de patte :
« En 1947, Roswell est une histoire parmi
d’autres. Aujourd’hui, on en fait tout un plat, mais
l’affaire n’a duré qu’une
demi-journée. » Et plus loin :
« Certes, les militaires ont un petit peu menti parce que ce
n’était pas un ballon-sonde classique. On ne s’y
intéresse à nouveau qu’en 1980, avec la
découverte d’un vrai-faux témoin ».
C’est confondant. D’abord, le communiqué de presse
et le démenti ont fait les plus gros titres de la saison.
C’était le titre principal en première page du New
York Times du 9 juillet, et dès le lendemain s’est abattu
un vrai rideau de fer sur les « soucoupes » qui
dure encore aujourd’hui. Dans ce journal ; les soucoupes
sont renvoyées dès le lendemain en page 23 (voir mon
livre Roswell, pp. 56 à 57). Non, ce n’était
pas un petit incident : ce fut en fait le tournant de toute
la vague de l’été 1947 et le coup d’envoi de
la politique de debunking. Et le « vrai-faux »
témoin était bien un vrai témoin, Jesse Marcel,
suivi de beaucoup d’autres.
Lagrange conclut son entretien dans Télérama sur cette
idée, qu’il continue à servir
aujourd’hui : « Cela dit, à mon avis, si
des ET passaient, on ne serait pas à même de les
reconnaître. Quelque chose qui serait radicalement nouveau,
serait-on seulement capable de le percevoir comme
tel ? »
Cette formulation habile, qu’il va beaucoup
répéter, permet à Lagrange et à ses amis de
soutenir qu’il n’a jamais affirmé qu’il
n’y avait pas d’ovnis et de visiteurs extraterrestres,
simplement que nous ne sommes peut-être pas capables de les voir.
Notons un mérite de cet argument : il excuse par avance, en
somme, un demi-siècle d’aveuglement sur les ovnis. Or il y
a, depuis déjà longtemps, un énorme dossier de
témoignages solides sur les ovnis ! Je suggère que
l’on pose la question, par exemple, au copilote du B-52 qui avait
survolé en octobre 1968 un ovni de grandes dimensions,
resté en point fixe pendant deux heures au dessus de silos de
missiles nucléaires de la base de Minot, qu’il avait
désactivés. Cet incident n’était pas
isolé. Il y en avait eu avant et il allait y en avoir
d’autres ensuite. Trois mois plus tard, était
publié le « Rapport Condon », expliquant
que, non, il n’y avait rien qui menaçait la
sécurité du pays…
Disons simplement que ce discours de Lagrange est loin du compte. Cette
timide ouverture – il y a peut-être des ovnis, mais on ne
peut pas les voir – fait peu de cas, non seulement de la montagne
de témoignages accumulés depuis des décennies,
mais surtout il occulte une question qui est au cœur de
l’ufologie : celle de la politique du secret,
pratiquée notoirement par les Etats-Unis. Tant que l’on
éludera cette question, on ne risquera pas de comprendre grand
chose au dossier ovni.
Toujours à l’occasion du cinquantenaire, Science et Vie
publie un numéro spécial, « 50 ans
d’ovnis », avec Pierre Lagrange pour conseiller de
rédaction. La tonalité générale du
numéro est assez sceptique, mais il y a une
« bonne surprise », pourrait-on dire, comme me
l’a fait remarquer en riant l’astronome Pierre
Guérin : Lagrange y fait un bon récit de
l’affaire de Valensole. Cependant, il se garde bien de
s’avancer dans sa conclusion : « …
l’ufologie n’offre aucune hypothèse. Elle se
contente de l’inexpliqué. De l’incroyable. Du
mystère de Valensole ». En réalité, ce
cas est bien l’un des « classiques »
à l’appui de l’hypothèse de visiteurs
extraterrestres, même si l’on peut se demander
aujourd’hui s’il n’y avait pas là, une fois de
plus, une sorte de mise en scène trompeuse.
L’année du cinquantenaire, c’est aussi la
publication du livre très controversé du colonel Corso,
un dossier difficile que je ne vais pas essayer d’analyser ici
(je renvoie à mon livre sur Roswell). Mais c’est aussi la
publication du second gros livre de l’Air Force, Roswell Case
Closed, qui prétend clore le débat pour de bon.
Dès l’annonce de la parution à venir, je
l’avais commandé mais je ne l’avais pas encore quand
j’ai été invité, un peu à la
sauvette, à venir en parler sur le plateau de LCI, alors
animé par David Pujadas. J’y avais retrouvé
l’inévitable Pierre Lagrange, muni du livre et le
présentant comme la vérité sur Roswell, sans la
moindre réserve. Une surprise l’attendait,
cependant : l’opinion négative de Jean-Jacques
Velasco, invité en duplex depuis Toulouse. De fait, la
presse américaine n’a pas caché son scepticisme,
cette fois, sur ce livre qui expliquait que les souvenirs de
témoins sur les cadavres étaient des confusions avec des
mannequins en bois utilisés dans les années 50 pour des
essais de parachutes !
Le 6 août 1997, à l’occasion de la sortie du film
Men in Black, Le Figaro publiait deux articles assez calamiteux pour
les ovnis. Le premier traitait le thème des « hommes
en noir ». Intitulé « James McAndrew le
vrai « man in black », il expliquait que le
capitaine de l’Air Force McAndrew (dont Lagrange disait
être l’ami), avec ses lunettes noires comme celles
des MIB, était l’auteur du rapport Roswell
Case Closed. Ce fut l’occasion pour le journaliste Olivier
Delcroix de rappeler le livre de Lagrange : « Pierre
Lagrange, sociologue spécialisé dans l’étude
des ovnis depuis une dizaine d’années et auteur d’un
livre démontant point par point « l’affaire de
Roswell », rappelle comment est né ce mythe moderne
(cette fois, celui des MIB) resté souterrain ».
Pour mémoire, le second article présentait une
étude de l’historien de la CIA Gerald K. Haines, Studies
in Intelligence, venant justement de paraître, qui expliquait que
les ovnis étaient le plus souvent des confusions avec les avions
secrets de la CIA, et que celle-ci avait même entretenu
délibérément cette confusion.
L’article du Figaro, dépourvu de tout recul critique,
s’intitulait « La vérité sort des
archives de la CIA. Les ovnis n’étaient que des espions
volants ». Une thèse qui ne tient pas debout, comme
l’a souligné l’ingénieur aéronautique
Philip Klass, pourtant l’un des sceptiques les plus virulents
contre les ovnis. Cela n’a pas empêché cette
thèse de devenir partout une référence,
citée en toute occasion. En bref, encore un coup dur pour
l’ufologie.
En septembre 1997, paraît un nouveau dossier douloureux pour
l’ufologie, onze pages dans L’Evénement du Jeudi.
Titre en couverture : « Ils reviennent ! X-Files.
La série qui rend dingue. Enquête sur
l’idéologie du paranormal ». On y brocarde
« une sous-culture peuplée d’ovnis,
d’extraterrestres et de phénomènes
inexpliqués », les « adorateurs
d’ovnis et les groupuscules
extrémistes ». C’est sans surprise
qu’on y trouve une fois de plus Lagrange, cité comme une
autorité en la matière, avec son livre La rumeur de
Roswell. On y apprend que c’est le sondage Roper qui avait
inspiré Chris Carter, le père de X-Files. C’est
vrai, semble-t-il, mais les chiffres du sondage ont
gonflé pour l’occasion : « …3% des
Américains (soit 7,5 millions d’habitants !)
affirmaient avoir été enlevés par des
extraterrestres… ». Dans ce dossier calamiteux,
un inévitable article démolit Roswell et sa
commémoration : « Etats-Unis : les
obsédés de l’obscur », avec ce
sous-titre « Roswell, mai 1997 : Un
condensé de mythologie soucoupique ». On y lit
encore :
« Dans le magistral ouvrage qu’il a consacré
à la célèbre « affaire »
Roswell, le sociologue Pierre Lagrange a très bien montré
comment, de la chute d’un objet brillant dans un champ du
Nouveau-Mexique, on était passé à la
création d’une nouvelle mythologie ».
1998 : un changement de ton ?
En 1998, certains on voulu voir un changement de ton chez Pierre
Lagrange, avec un effort d’ouverture, à propos du
« rapport Sturrock », fruit d’une
réunion de scientifiques, invités pour un
séminaire par Laurance Rockefeller dans sa
propriété de Pocantico. Dans un article de
l’Evénement du Jeudi du 5 août 1998, intitulé
« Pourquoi ils ne s’approchent pas trop
près », Lagrange écrit : « Conduits
par Peter Sturrock, professeur de physique appliquée
à l’université de Stanford, les chercheurs
réunis pour l’occasion ont d’authentiques PhD et une
réelle connaissance du dossier ovni. Ce qui les conduit,
d’ailleurs, à beaucoup de prudence ».
Le sous-titre donne aussi une impression d’ouverture :
« Pierre Lagrange explique pourquoi il ne faut pas tout
jeter dans les histoires de soucoupes ».
Ah bon, est-on tenté de dire. Mais on trouve aussi dans cet
article des commentaires réducteurs, comme :
« Mais rien ne s’oppose en théorie à ce
que des extraterrestres facétieux viennent nous rendre
visite ». Et voici pour les ufologues qui n’ont pas
encore compris le charme discret de Seti (la recherche de signaux
intelligents) : « La plupart des
« ufologues » sont des conspirationnistes
un peu excités, mais certains d’entre eux – et
ce pauvre public qui « mélange tout » -
ont bien compris que Seti leur tendait la perche avec son principe de
banalité ».
Un mot d’explication est ici nécessaire. Ce
« principe de banalité » implique
justement qu’il n’y a pas de raison a priori pour que nous
soyons seuls dans l’Univers. Seulement, l’ufologie
n’y trouve pas son compte car les astronomes de Seti continuent
à nier en bloc l’existence des ovnis (c’est
préférable pour justifier leur recherche et obtenir des
crédits…). En fait d’ouverture, l’article se
termine avec un coup de patte contre les ovnis :
« … si, dans l’avenir, quelqu’un voit
apparaître dans le ciel une « machine »
envoyée par une civilisation galactique, il y a de fortes
chances pour qu’on la prenne encore pour une soucoupe
volante ! ». Autrement dit, pour une
« vésanie », comme les appelle
André Brahic dans son livre Les enfants du Soleil. On peut ainsi
se demander si la meilleure chose à faire, pour ne pas troubler
les scientifiques et leur laisser le temps de réfléchir,
serait de ne plus parler du tout des ovnis ! Cela dit,
reconnaissons que les agités du bocal ufologique n’aident
pas à faire avancer les choses. Lagrange se fait
d’ailleurs plus méchant dans la petite revue Anomalies de
mars 1999, comme l’a remarqué Pierre Guérin dans
son livre OVNI. Les mécanismes d’une désinformation
(p. 204). La couverture de la revue annonce ainsi :
« Dossier Ovnis : la science
s’encanaille ». Et dans le dossier, ces scientifiques,
« authentiques PhD », se voient ici
qualifiés de « bel aréopage de grincheux et de
diplômés ». Quel langage sympathique !
1999 : la critique violente du Cometa
En juillet 1999, est publié sans annonce préalable le
remarquable rapport du Cometa, « Les Ovnis et la Défense. A quoi
doit-on se préparer ? », qu’il n’est
pas nécessaire de présenter.
Ce rapport, dont tous les mots avaient été pesés
soigneusement, avait été rédigé par
un groupe d’auteurs de haut niveau. Il comprenait des
officiers généraux, des ingénieurs
généraux de l’armement, et des scientifiques.
Notamment, Christian Marchal, chargé de la prospective à
l’ONERA et professeur d’astronomie à
l’Observatoire de Paris ; Alain Orszag, spécialiste
des lasers ; Jean Dunglas, spécialiste d’hydraulique
et des barrages. Un point important est que le Cometa ne se contentait
pas de faire un rapport très solide sur la réalité
des ovnis. Il abordait franchement la question cruciale du secret et de
la désinformation, dénonçant comme suspects le
film de l’autopsie et l’amalgame pratiqué dans les
médias avec le dossier de Roswell, à la suite de Pierre
Lagrange.
La réaction de se fit pas attendre. Trois jours plus tard, le
quotidien Libération du 21 juillet publiait une page
entière signée Lagrange, intitulée par
dérision “ Ovni soit qui mal y pense ”, et
dénonçant la désinformation du rapport, dès
le sous-titre de son article :
« Entre “ X-Files ” et
“ Independance Day ”, le rapport
“ d’experts ” publié par
“ VSD ” alimente la désinformation sur les
ovnis en ridiculisant le sujet ».
Et pourquoi cela ? Parce qu’ils osaient évoquer comme
plausible le crash d’un ovni à Roswell, et osaient
parler de la désinformation américaine sur les ovnis.
Autrement dit, pour Lagrange, évoquer la question de la
désinformation, c’est faire de la
désinformation !
A part un excellent article dans Ouest France, et quelques entretiens
radiophoniques (RTL, Europe 2), la grande presse est restée
silencieuse, ou a même manifesté son hostilité.
L’hebdomadaire L’Express du 5 août citait
Lagrange dans un article au vitriol, intitulé
« Ovnis : un rapport
délirant » : « Ce rapport passe par
pertes et profits toute la réflexion récente sur les
ovnis et accorde du crédit à des histoires que les
ufologues américains rangent dans le folklore, se désole
le sociologue Pierre Lagrange, probablement le meilleur connaisseur de
l’ufologie... ».
Cette phrase, à elle seule, est un concentré
étonnant d’erreurs, d’ignorance, et pour tout dire,
de désinformation. On voit ici l’influence que peut avoir
un « expert », surtout s’il écrit ce
que beaucoup de gens souhaitent entendre. Pierre Guérin
n’a pas manqué d’analyser cet épisode dans
son livre OVNI. Les mécanismes d’une
désinformation, paru l’année suivante. Pour une
analyse d’ensemble, en profondeur, on ne peut que recommander la
lecture de l’excellent livre de François Parmentier,
OVNI : 60 ans de désinformation (Editions du Rocher, 2004).
On peut cependant discerner des limites à cette influence.
C’est le même journal Libération, celui qui avait
ouvert si généreusement ses colonnes à Pierre
Lagrange pendant plusieurs années, qui allait s'en distancier
à l’occasion d’un dossier de quatre pages sur les
ovnis, paru le 26 décembre. Il est vrai que c’était
un dossier plutôt culturel et bon enfant, sur les
« objets du siècle », mais on y trouvait
quand même un article élogieux sur le rapport du COMETA,
dans lequel Lagrange se trouvait épinglé :
« Au grand dam de certains, tel l’ufologue Pierre
Lagrange (Libération du 21 juillet 1999), lesdits experts notent
en conclusion de leurs travaux :
« L’hypothèse extraterrestre est de loin la
meilleure hypothèse scientifique, elle n’est certes pas
prouvée de façon catégorique mais il existe en sa
faveur de fortes présomptions, et, si elle est exacte, elle est
grosse de conséquences ».
Depuis 2000, un «nouveau » discours ?
Dans l’ufologie francophone, comme dans la presse, Pierre
Lagrange a gardé une certaine audience, mais c’est peut
être, dit-on ici et là, parce qu’il a
évolué. De fait, on doit constater qu’il a
développé, en gros depuis 2000, un argumentaire qui
existait déjà en partie, comme cette idée
déjà citée que, si les ovnis existent, les
scientifiques auraient beaucoup de mal à les voir… Ses
partisans mettent en avant des textes tels que « La
vérité est ailleurs, ou comment tordre le cou à
quelques idées reçues à propos des soucoupes
volantes » (dans la revue de science-fiction Bifrost), et
«Reprendre à zéro. Pour une sociologie
irréductionniste des ovnis » (dans la revue belge de
la SOBEPS Inforespace de juin 2000). Quels sont les nouveaux
arguments ?
Dans l’article de Bifrost, Lagrange s’en prend à la
« rhétorique des soucoupes ». Comprenez
qu’il vise cette fois les arguments habituels contre les ovnis,
employés dans le monde scientifique ainsi que par les ufologues
sceptiques qui s’étaient tournés vers des
interprétations « psychosociologiques »
à partir de la fin des années 70, pour
récuser même la possibilité des ovnis. Ces
arguments sont notamment, explique Lagrange : « la
soucoupe n’est pas un fait scientifique mais un fait de
croyance » ; « les soucoupes sont un pur
produit de la Guerre froide » ; « les
témoins d’ovnis ont trop lu de
science-fiction », etc. En effet ! Ce sont des airs
connus, mais c’est une
« rhétorique » avec laquelle Lagrange
lui-même a fait bon ménage pendant des années,
comme nous l’avons vu ! D’où, sans doute, son
expression «reprendre à zéro » dans son
article d’Inforespace.
En 2002, nous retrouvons Pierre Lagrange, interviewé dans Le
Figaro Magazine du 12 octobre, à l’occasion de la sortie,
très médiatisée, du film Signes. Notons en passant
que ce film commence bien mais finit mal : on y découvre
avec stupeur que les « cercles dans les
blés » sont des signes posés par de
redoutables aliens qui se préparent à nous envahir, mais,
heureusement, nous sommes protégés par le Tout
Puissant ! Pas fameux, ce film, pour l’ufologie.
Cela dit, le titre de l’article, qui cite Lagrange,
suggère qu’il continue sa reconversion sur les
ovnis : « Ce qui est bizarre, c’est de nier
l’existence des soucoupes volantes ». Ah bon, se
dit-on, voilà un intéressant renversement des
rôles. Hélas, les questions et les réponses sont
moins claires. A la question « Pourtant, les soucoupes
appartiennent plutôt à un folklore de science-fiction,
non ? » , Lagrange répond : « Certes,
les soucoupes relèvent aussi de l’imaginaire. Mais alors
qu’elles ont longtemps appartenu à la marginalité,
elles représentent désormais une des figures majeures de
notre culture ».
Subtile réponse, éludant la question de leur
réalité. Il précise plus loin son
idée. A la question « Le fait que beaucoup de gens
célèbres croient à quelque chose ne suffit pas
à la rendre réelle… », Lagrange
répond : « Entièrement d’accord. Ce
que je veux dire, c’est qu’actuellement, le débat
scientifique concernant la vie extraterrestre a atteint un tel niveau
de réflexion qu’il apparaît presque bizarre de nier
l’existence des soucoupes ! »
Eh oui, pourrait-on dire, Il va bien falloir qu’ils s’y
mettent, les scientifiques. En dépit de ces pauvres
« soucoupistes », en quelque sorte. Sur ceux-ci,
en effet, l’opinion de Lagrange n’a pas varié.
En témoigne son vocabulaire, dans le livre La prophétie
des ombres de John Keel, traduit de l’américain,
qu’il a présenté et annoté en 2002. On y
retrouve, à vrai dire sans surprise, toujours les mêmes
expressions péjoratives, qu’a relevées Joël
Mesnard (article « La volonté de nuire »,
LDLN N° 365, sept. 2002). Ce sont, par exemple :
« la faune bigarrée des milieux
soucoupistes » (p. 8) ; les « ufologues un
peu fêlés et amateurs de contacts
extraterrestres » (p. 8) ; « des groupes
d’amateurs » (p. 10) ; des « ufologues
de tout poil » (p. 14), sans oublier ces bons vieux
« soucoupistes » de la vieille école (pp.
15, 18, 22). En l’occurrence, ce mépris des ufologues et
de l’ufologie ne manque pas de sel, s’agissant ici, dans le
cas de John Keel, d’un ufologue américain
particulièrement « fêlé »,
pour reprendre son propre terme !
Confusion entre secret et complot
Toujours en 2002, Lagrange va saisir une nouvelle occasion de
dénoncer les théories soucoupistes du
« complot », en les mettant dans le même
sac que le livre de Thierry Meyssan sur le 11 septembre,
L’effroyable imposture, qui fait alors scandale, avec en
prime les théories négationnistes.
Libération du 30 mars 2002 titre : « Le
sociologue Pierre Lagrange décrypte les mécanismes de
“ l’Effroyable Imposture ” : La
même rhétorique que le négationnisme ».
Quel est le rapport avec les ovnis ? A la question de la
journaliste « Pourquoi l’opinion est-elle aussi
sensible à de telles opérations ? Lagrange
répond : « Ce phénomène
n’est pas typique des Français. Soupçonner le
gouvernement de cacher des choses est un sport national
américain. Souvenons-nous de l’affaire de Roswell, cet
accident supposé d’un ovni dans le désert du
Nouveau-Mexique en 1947. Sans parler de toutes les théories sur
l’assassinat de Kennedy ou sur l’idée que
l’homme n’a jamais mis le pied sur la Lune ».
Heureusement, Lagrange explique plus loin que ceux qui croient à
l’existence de secrets sur les ovnis ont quelques excuses,
à cause du déni systématique des
autorités : « A force de dire aux
« soucoupistes » qu’ils n’avaient pas
de preuves, certains d’entre eux ont fini par répondre
qu’on les leur cachait ». Mieux encore,
« ces rumeurs circulent souvent au sein de nombreux
réseaux (pompiers, pilotes, etc.) et d’agences
officielles ».
Voilà donc quelques « excuses » pour ces
pauvres « soucoupistes », mais
l’idée d’une équivalence Roswell –
Meyssan – négationnisme est quand même
plantée dans l’esprit du lecteur.
Démonstration : le Nouvel Observateur du 11 juillet
2002 fustige également le livre de Thierry Meyssan
dans l’article « Les sornettes de
“L’effroyable Imposture” », avec ce
sous-titre : « De la soucoupe de Roswell au 11
septembre ». Bien entendu, l’article s’appuie
sur Lagrange et son livre La rumeur de Roswell pour faire cet amalgame
saisissant entre une théorie fantastique et le dossier de
Roswell, certes encore controversé, mais bien plus solide que le
croient la plupart de gens, désinformés depuis des
années. Dans son livre OVNI : 60 ans de
désinformation, François Parmentier a bien
démonté cette rhétorique qui incite à
confondre les notions de secret et de complot (p. 52).
En 2003, cet amalgame réapparaît dans le livre Noirs
complots, recueil de nouvelles éditées par Pierre
Lagrange. Dans son introduction, Lagrange reprend également son
idée que les hommes n’arriveraient pas à identifier
des artéfacts d’origine extraterrestre, et il en tire
argument contre la thèse d’un crash d’ovni à
Roswell (p. XII): « Au contraire, s’il
s’est passé quelque chose en 1947, cela relève
forcément de l’incompréhensible absolu. Tout comme
l’intrusion d’une primatologue au milieu d’une troupe
de babouins est pour ces derniers une source
d’incompréhension. Il n’y a donc pas eu complot car
personne n’a perçu et identifié le
fait ».
Il ne manque pas de sel, cet argument. Car, jusqu’à nouvel
ordre, l’armée de l’Air américaine
soutient exactement le contraire : que les aviateurs de Roswell,
un peu excités sans doute, avaient pris des baguettes de balsa
pour des poutrelles de soucoupe extraterrestre ! Ajoutons
qu’un certain nombre d’auteurs, sans doute plus
intelligents que des babouins, ont supposé depuis longtemps que
nous pourrions être un objet d’étude pour des
civilisations extraterrestres.
Loin de cette rhétorique médiatique, notons pour finir
que, en septembre 2005, Yves Sillard, nommé président du
comité de pilotage du GEIPAN, le nouveau service
d’études des ovnis remis en place au CNES, a
évoqué cette question de la désinformation ,
responsable selon lui des critiques ayant affaibli le GEPAN,
qu’il avait créé en 1977, puis le SEPRA, qui
avaient bien fonctionné au début. Dans son entretien du
29 septembre à la radio RFI, il a clairement
désigné la politique américaine :
« … une politique délibérée et
savamment orchestrée de désinformation ».