Voyage au pays de Jules Verne

Compte-rendu de la conférence "Jules Vernes et les énigmes de la Science" lors des 6èmes Utopiales de Nantes 2005
Par Franck Boitte


6emeUtopiale Ces 10-13 novembre se tenaient au Centre International des Congrès de Nantes où il est né en 1828 les 6e Utopiales consacrées à Jules Verne à l’occasion du 100ème anniversaire de l’année de sa mort.
Ce grand rendez-vous tribal est l’occasion rêvée pour tous les auteurs, amateurs de SF, rêveurs et autres utopistes de tous horizons de venir s’adonner et sacrifier à leur vice favori. Arrivés largement avant l’heure, nous nous heurtons à un sas de (dé)contamination tandis que des droïdes en combinaisons de serge bleue, boîtiers paralysants SFR ou Cégétel à la ceinture, font d’incessants va et vient derrière d’épaisses parois de verre. Enfin, sur un geste de leur Communiquant en Chef, ils s’approchent pour nous autoriser le passage dans la Vème Dimension.
Age moyen des visiteurs : trente ans et moins. Sexe : masculin à 80%. On se reconnaît, se chahute et s’interpelle par des codes convenus dans une joyeuse pagaille : « Dis donc, ça faisait longtemps depuis le dernier Mille Sabords ! ». Deux pachi-bouzouks en goguette sans nul doute.

Il y a longtemps que la SF a cessé de me faire passer des nuits blanches et mes timides incursions dans sa production récente n’ont que très peu contribué à modifier mon panthéon personnel. Malgré – ou peut-être à cause - les horreurs baveuses et dégoulinantes qui hantent leurs univers parallèles, les Strieber, Druillet et autres S. King me font bailler d’ennui dès la 3ème page. De Jules Verne je n’ai retenu que peu de choses : qu’il avait la barbe fleurie mais pas aussi blanche que celle de Léopold II, ce roi des Belges qui fit massacrer ou amputer nous rapporte-t-on aujourd’hui avec ô combien de complaisance, tant de noirs coupables de ne pas lui apporter la production quotidienne de 10 kg. de gomme d’hévéa qu’il exigeait d’eux, et aussi qu’il était l’auteur de ce glacial et lugubre Drame en Livonie qu’un oncle bien intentionné m’offrit le jour de Noël de mes huit ans et dont je ne réussis jamais à venir à bout. Cet oncle, par ce seul geste, réussit à m’éloigner de Jules Verne d’une façon presque définitive et les Martin Paz en deux volumes de la Bibliothèque Verte qui m’échurent en cadeau de distribution de prix scolaire l’année suivante ne firent qu’accroître les coliques irrépressibles que soulevaient désormais en moi la seule évocation de son nom.

Ce n’était donc pas lui qui m’amenait en ce lieu le dimanche 13 à 11 heures mais l’annonce d’une table ronde intitulée « Jules Verne et les Mystères de la Science ». Ah, mais vous voyez bien, direz-vous. Et bien  non, je ne comptais pas sur le père du poussiéreux Philéas Fogg pour améliorer ma balbutiante appréhension de la science du XXIème siècle. Par contre l’affiche des intervenants avait excité ma gourmande convoitise : imaginez donc, Bertrand Méheust (BMT), Pierre Lagrange (PLE) et le petit nouveau, Grégory Gutiérez (GGZ) à la même affiche. Ce serait comme dire Bono et David Bowie accompagnés des Rolling Stones pour leur donner le tempo. Ajoutons en appui la charmante présence de Cypora (un nom venu d’ailleurs) Petitjean-Cerf (CPN), épouse du dernier nommé, qui a récemment suscité l’intérêt par la publication, encore bien chez Stock chère amie, de sa première œuvre romanesque intitulée "Le Musée de la Sirène", de Cyrille    Vanlerberghe (CVE), chroniqueur du département scientifique au Figaro Magazine et, en habitué des Utopiales, de Ian Watson (IWN), annoncé comme un poète et écrivain anglais qui a participé au tournage de plusieurs oeuvres du réalisateur S. Spielberg.

Egalement le même jour à 16h, une discussion sur le thème "Le CNES et les OVNIS, la suite", modérée par le journaliste Olivier Delcroix. Avec toujours aux premières loges MM. Pierre Lagrange et Bertrand Méheust et en appui Mr. Jacques Patenet (JPT), le directeur du nouveau GEIPAN.
Voilà qui promettait du sport.

Dimanche à 11h

Dès 10h30, installés au premier rang d’une longue rangée de chaises vides dans le grand amphithéâtre du rez-de-chaussée, enregistreur en bandoulière et carte de presse en bandeau, nous les attendons Sibylle et moi de pied ferme. Premier arrivé, BMT que nous voyons passer, l’air un peu perdu. Il tourne et virevolte, s’en va et revient, nous jette un coup d’œil aussi dubitatif qu’étonné avant de disparaître. 11 h 15 : quinze places sont occupées derrière nous et le modérateur, Mr. D. Spring vient nous demander d’encore patienter 10 minutes.
Les voilà qui se mettent en place, Mr. Watson un verre de mousseux – du champagne ? – à la main. Il ne s’exprimera qu’en anglais et sans traducteur de sorte que plus de la moitié de la centaine de personnes qui finiront par s’assembler là ne comprendra rien à ce qu’il dit et que j’aurai moi-même du mal à suivre son flot de paroles dès qu’il se mettra à parler un peu trop vite.

C’est lui qui engage le débat en démarrant très fort avec la thème de la conspiration : est-il possible d’en trouver les origines dans l’œuvre de Jules Verne, existe-t-il aujourd’hui des agences qui détiennent les clés de la croissante complexité du monde?

BMT lui répond que c’est à mesure que les sociétés modernes deviennent opaques et mystérieuses pour elles-mêmes, que, traduisant l’effroi devant la complexité croissante de la société, se répand le thème de la conspiration. « La véritable réalité, c’est que [cette complexité croissante fait que] les choses nous échappent complètement et qu’on essaye de garder l’idée qu’il y a des gens qui ont la main dessus».

Pour montrer que quel que soit le sujet ou l’époque, il est possible d’en tirer un mythe, comme c’est le cas aujourd’hui avec les X-Files, GGZ cite l’exemple des fans des Beatles qui cherchaient dans leurs albums des indices que Paul Mc Cartney était mort et que cette mort leur avait été cachée. « Lorsque j’ai rassemblé les éléments qui allaient me permettre d’écrire mon livre, poursuit-il, je me suis aperçu que ni le spiritisme, ni la télépathie n’avaient retenu l’intention de Jules Verne. Il était beaucoup plus centré sur les thèmes qui célèbrent la technique, la technologie, l’intelligence de l’ingénieur ».

PLE intervient pour confirmer que Jules Verne se situe bien plus du côté de la science positive du XIXe siècle que de celui du spiritisme et que certains de ses romans trouvent leur point de départ dans des faits divers. « C’est le cas de Robur le Conquérant qui commence par une série d’observations de sondes inconnues qui ont été entendues et aperçues. On en débat, la presse s’en empare, exactement comme ce fut le cas aux Etats Unis pour les soucoupes volantes en 1947 et avant elles l’airship de 1897. Il y a là un étonnant parallèle. Le début de 20 000 lieues sous les Mers, c’est une histoire de serpent de mer. Il y a donc chez Jules Verne ce désir de raconter les sciences, mais de façon dramatique, qui le rapproche beaucoup plus de l’univers populaire des parasciences que de la pratique scientifique au quotidien. C’est ce rapprochement qui a permis à ses lecteurs de passer assez facilement de l’univers des sciences, en construction à son époque, à celui des parasciences comme on dit actuellement ».

CVE ignore si Jules Verne avait un secret caché que son éditeur lui aurait empêché de révéler, mais il lui paraît clair que dans toute son œuvre, il cherche à expliquer la science, dans des passages assez longs voire interminables que le lecteur aura tendance à sauter.
 
De la salle, FBE intervient alors pour demander « en toute innocence et ignorance de la biographie de Jules Verne » s’il existe des documents historiques établissant son appartenance à une loge franc-maçonne comme IWN vient de le suggérer.
Tandis que ce dernier s’esquive en déclarant qu’il ne défend pas cette idée, mais qu’il existe bien une tendance actuelle, comme c’est le cas du DaVinci Code, ou pour les attentats des Twin Towers que l’on a attribués à un branche stupide de la CIA, à chercher des explications tortueuses à des mystères inexistants, c’est finalement un des auditeurs se trouvant dans la salle qu’il reviendra de fournir une réponse claire la question : « Je m’appelle Jean-Michel Margot et suis le Président de la société Jules Verne nord-américaine. Non, il n’existe aucun document établissant une telle appartenance. Par contre, Jules Hetzel, son éditeur, ainsi que Jean Macé qui publia le Magasin d’éducation et de récréation avec Hetzel et Jules Verne, étaient franc-maçons ».

Pour PLE, si l’histoire des soucoupes volantes a acquis la renommée qu’elle a aujourd’hui, c’est parce que dès 1947, l’Armée de l’air américaine a mis en place Blue Book, un programme d’études qui a fait qu’elles ont cessé d’être un simple fait-divers saisonnier pour dépasser le statut de fait-divers de courte durée et acquérir  celui de longue durée. Usant constamment du double langage qui consistait à la fois à dire une chose et son contraire, l’Armée de l’air américaine a donc contribué à entretenir autour d’elles une atmosphère de secret et de conspiration. Il y avait au sein même de cette armée un débat sur la nature des preuves concernant l’origine de ces objets et par conséquent, loin d’être idiote ou le produit d’esprits dérangés qui auraient eu envie de réenchanter le réel, l’idée du complot résulte directement de la façon très curieuse qu’ont suivie les pouvoirs publics de gérer cette affaire. Finalement, cette théorie du complot naît au sein même de l’appareil militaire et il n’y a pas de vraie rupture entre la théorie populaire et la théorie savante.

Pour BMT, en rendant légitime cette tendance à imaginer ou du moins à nourrir l’idée du complot, la société moderne finit par en devenir complogène, même s’ils n’ont à son avis jamais la précision ni le caractère si  intentionnel que le public leur confère. Il y a des luttes de tendances qui aboutissent à un résultat stochastique qu’en réalité plus personne ne contrôle plus vraiment.
BMT rapporte qu’au cours d’une discussion récente qu’il a eue avec IWN portant sur la SF ou plutôt la sociologie-fiction, a été évoquée l’idée que la société moderne devenant de plus en plus complexe et inmaîtrisable,  les moyens de circulation des bobards devenant infinis. Il en arrive à se demander si ces sociétés ne sont pas condamnées à devenir complètement folles : « Parce qu’il faut toujours [imaginer] une construction à ajouter comme étage supplémentaire aux constructions antérieures ». Dans cette fuite en avant, quel est le devenir psychique de la société moderne ?

Pour GGZ, la porte de sortie se trouve peut-être dans la manière dont les théories conspirationnistes peuvent être digérées de manière littéraire en s’intégrant dans un imaginaire culturel commun, comme ça a été le cas avec X-Files qui a récupéré et en quelque sorte recyclé des thèmes qui circulaient déjà parmi de petits groupes marginaux ayant peu de points de contact avec le reste de la société et le monde réel.
On peut citer à ce propos les 1 500 pages de littérature sauvage complètement dingue des lettres ummites censées avoir été écrites par des visiteurs venus d’une autre planète.

Ce que BMT résume en disant que « le complot peut en quelque sorte être transformé en objet esthétique « Mais ce recyclage vient toujours après coup, il a une longueur de retard ».

La parole est brièvement donnée à CPN qui précise le cadre de l’inspiration de son roman et de son activité d’enseignante en classes de rattrapage : « Les soucoupes volantes apparaissent à ces jeunes comme une activité tout à fait inoffensive qui n’entretient ni liens avec les sciences ni avec leurs préoccupations personnelles très centrées sur leur propre place dans la société ».

PLE précise : « Avec l’importance qu’ont pris les ovnis, pas seulement dans la SF, mais aussi dans tout un tas de niches culturelles comme la publicité ou le cinéma, est apparue à partir de 1995, notamment avec les X-Files ou  l’histoire de l’autopsie de l’extraterrestre de Roswell, une sorte de démocratisation de ces thèmes. Ils ont quitté les groupes de passionnés par s’étendre au grand public qui jusque là ne s’y intéressait pas en permettant au thème des ovnis de circuler librement dans la société. En se diluant, il est donc devenu beaucoup plus présent aujourd’hui qu’il ne l’était en 1995. En même temps, le débat scientifique sur la pluralité des mondes habités est venu appuyer et rendre légitime cette acceptation.
La discussion porte ensuite brièvement sur le récent phénomène des abductions qui pour PLE est « un artéfact sociologique fortement exagéré lié à des sondages qui ont été faits aux Etats-Unis il y a des dizaines d’années au cours desquels on a posé aux gens des questions du genre : « Est-ce que vous avez des amnésies, des rêves récurrents, des sensations de présence ou d’oppression ou autres choses de ce genre ? » Ce qui a amené à dresser un « portait robot » des gens qui avaient été enlevés. Mais il ne faut pas oublier que ces gens-là ne sont pas spontanément venus dire : « J’ai été enlevé ». Ca c’est une construction des instituts de sondage qui ont travaillé là-dessus. Cela revient à accentuer parfois certaines choses sous prétexte de les démystifier et à perdre de vue un phénomène réel qui peut être présent. C’est par exemple le cas de  l’ouvrage de G. Charpak en France qui tout en prétendant lutter contre les parasciences, accentue de façon totalement artificielle la différence entre croyances et rationnel. En tant que sociologue, la croyance, j’attends qu’on me montre ce que c’est, l’irrationnel, j’attends qu’on me démontre qu’il entraîne qu’il existe une coupure radicale entre d’un côté des gens qui seraient rationnels et de l’autre d’autres qui ne le seraient pas».

Cherchant à répondre à la question cent fois remise sur le tapis, « Que sont les extraterrestres d’antan devenus? », BMT l’illustre par cette anecdote : « Il y a un an et demi à peu près, il y avait eu à Saubermont, près de Dijon, un cas très intéressant (BMT donne un bref résumé de l’ incident). Filmé pendant près de 20 minutes, il avait fait l’objet d’une page complète dans le Bien Public. Me trouvant quelques mois plus tard à Macon chez un ancien membre du groupement des Amateurs de l’Insolite, très branché sur le sujet, je lui en fis part. Je ne tardai pas à constater qu’il était bien plus intéressé de me montrer l’excellence de la documentation qu’il avait accumulée dans son ordinateur au sujet des crop circles  et que c’est à peine s’il m’écoutait. La conclusion de cette histoire est que l’ovni s’est dématérialisé pour passer dans l’univers virtuel d’internet. L’ovni de mes 20 ans, si je puis dire, celui qu’avec Isabelle … j’allais enquêter, était un ovni réel. Mais il n’existe plus, la machine à fabriquer les bobards l’a totalement liquéfié . Ceci ne veut donc pas dire qu’il n’y a plus d’ovni, mais que la société, pour des raisons que l’on est en train de décrypter, a désormais beaucoup de mal à les saisir.

CVE confirme que bien que les extraterrestres soient plus que jamais présents dans les médias, notamment après la mise en route du programme SETI, ainsi que dans les budgets de la NASA consacrés à la recherche de la vie, que donc le sujet a cessé d’être tabou, le journal pour lequel il travaille n’a reçu qu’une seule communication depuis qu’il s’y occupe de la rubrique médicale.
Une dame faisant partie du public désire à ce moment revenir en arrière et se demande si la théorie du complot n’est pas tout simplement à relier aux débuts de la Guerre Froide qui a duré jusqu’en 1989?

PLE lui répond que très certainement les militaires des deux camps étaient persuadés soit qu’un complot se tramait dans leur dos au sein même de leur propre administration, soit que c’était la partie adverse qui en était l’auteur. Ce qui explique par exemple que le FBI ait enquêté pour savoir si des agents infiltrés aux Etats-Unis ne propageaient pas des rumeurs déstabilisatrices à l’intérieur de l’appareil militaire américain. Il est à ce sujet regrettable que les chercheurs qui ont étudié l’histoire la Guerre Froide ne se soient pas intéressés de celle des soucoupes volantes.

Une autre dame estime que le décomplexage de la science par rapport à la recherche de la vie extraterrestre ne date pas du tout d’aujourd’hui puisque déjà Lucrèce en parlait. Elle se demande aussi quel est le véritable rapport entre Jules Verne et les soucoupes volantes, ajoutant qu’elle ne voit pas où trouver dans ses romans la moindre allusion à un possible complot. Au contraire, dit-elle, pour lui, tout peut s’expliquer par la technologie et la science positive et ce sont plutôt les rapports que l’homme entretient avec celle-ci qui peuvent poser problème.

PLE répond que le grand changement introduit par Copernic par rapport aux conceptions antérieures, telles que celles de Lucrèce, est cette idée qui transforme complètement le débat, que la Terre n’est qu’une planète banale, pareille aux autres planètes et qu’on peut donc s’attendre à trouver de la vie ailleurs Pour Jules Verne, l’intérêt tient en l’espèce de paradoxe qui existe entre l’écrivain scientifique et sa façon de mettre en scène des phénomènes, assez proche de ce que l’on trouve dans le dossier des soucoupes volantes.
La plupart des faits admis par les scientifiques sont des faits produits par les scientifiques dans leurs laboratoires, ce qui n’est pas le cas des soucoupes volantes. Elles viennent du public qui les présente comme quelque chose d’extérieur qui devrait légitimement interpeller la     science. En utilisant des questions populaires extraites de faits divers pour susciter son ouverture, Jules Verne se situe en fait à la croisée des chemins.
Aussitôt que cette question est apparue très clairement, le physicien italien Fermi a soulevé l’objection que si la vie est répandue dans l’univers, nous ne sommes sans doute pas non plus les premiers et qu’il existe des civilisations bien plus anciennes que la nôtre. Vieille de seulement 400 ans, notre histoire scientifique est particulièrement courte. Des civilisations qui auraient quelques millions d’années d’ancienneté par rapport à la notre auraient développé des technologies qui seraient, comme le disait A.C. Clarke, indiscernables de la magie et par conséquent pouvoir sans danger pour elles se mêler à la notre. Donc la question posée ne se résume pas à seulement « Est-ce que nous ne sommes pas seuls ? » mais aussi à « Pourquoi est-ce que nous ne voyons pas ces satanés extraterrestres qui devraient pulluler dans l’univers ». A partir de là, la question de l’expertise des soucoupes volantes devient tout à fait légitime car elle découle immédiatement de celle posée par Fermi. Du point de vue de l’anthropologue, on sait aujourd’hui combien on a de mal à se percevoir entre humains et semblables, avec nos différences. C’est un peu ce que l’on voit à la fin de 2001 l’Odyssée de l’Espace. Je suis toujours surpris, lorsque je revois ce film, de constater que les gens quittent la salle au moment des dix minutes de fin qui leur paraissent absurdes, alors que c’est là que commence vraiment sa partie intéressante.

BMT pose la question de savoir si le lien entre recherche de la vie extraterrestre et soucoupes volantes est toujours tabou ou pas ? Il faut pour cela reprendre le sujet assez loin et étudier quel est le lien entre la SF et les ovnis. « J’ai essayé d’en faire un que j’ai développé jadis. Ce lien est que l’imaginaire qui s’est déployé dans les ovnis est le même que celui qui a crée la SF. Cette coïncidence dans le temps et l’espace m’avait amené à conclure à première vue que c’est quand l’homme a commencé à développer cet imaginaire qu’il a inventé les ovnis ». Cette approche se présente à deux niveaux : complètement sceptique, le premier consiste à dire que l’homme a créé, à partir de sa propre culture et d’occurrences de phénomènes banaux mal connus, cette rumeur qui ne repose sur aucun phénomène nouveau inconnu. Je tends à penser aujourd’hui que, si une grande partie des ovnis relève en effet de cet imaginaire, si l’on découpe cette couche, qu’on la décape, il subsiste quelque chose dessous. Ce qui pourrait relever d’une ufologie rénovée serait donc cette couche qui subsiste dessous et l’imaginaire de la SF serait donc finalement le miroir aux alouettes qui correspond à la couche qu’il faut décaper. C’est donc ce que l’on chercherait spontanément qu’il ne faudrait pas chercher. Est-ce qu’il y a oui ou non quelque chose qui subsiste en dessous ? Je pense que oui. Je pense qu’il y a toujours eu quelque chose qui se balade dans notre environnement et que lorsqu’on a commencé à imaginer l’univers de la SF, on l’a collé dessus ».

IWN doute pour sa part qu’une civilisation extraterrestre aurait les mêmes motivations ou la même curiosité que nous à chercher à découvrir ce qui ne lui est pas connu.

PLE fait remarquer que le véritable problème de l’absence des extraterrestres parmi nous est qu’on ne les a jamais véritablement cherchés. Il y a eu il est vrai des programmes dans le cadre de SETI consistant à capter des émissions radio ou des signaux optiques, mais l’idée de chercher des artéfacts de la présence dans notre système solaire d’une civilisation proche n’a pas été encouragée. Quelques propositions [comme celle de] Michaël Papagianis, qui était le président de la Commission 51 de SETI sur le plan international, sont restées lettre morte. Au début des années 1980, il avait pris au sérieux le paradoxe de Fermi et avait proposé de mettre en place des protocoles visant à trouver d’éventuels extraterrestre dans notre système solaire, notamment dans la ceinture d’astéroïdes qui se trouve entre Mars et Jupiter et constitue un endroit extraordinaire où des extraterrestres pourraient se cacher. Il n’a jamais réussi à faire financer le programme de recherche qu’il proposait. Donc quand on dit aujourd’hui, « Où sont les extraterrestres, s’ils existent ? » la réponse est que l’on ne les a jamais non plus vraiment cherchés. Nous sommes à ce point de vue un peu désemparés, comme dans la situation du babouin qui voudrait étudier le primatologue, alors que c’est généralement le contraire qui se produit.

La parole est redonnée à une dame du public qui précise que si elle est entièrement d’accord avec l’idée d’une recherche d’une civilisation extraterrestre, elle n’arrive pas à concevoir que celle-ci voudrait se cacher et éviterait de communiquer avec nous.

FBE intervient alors pour lui demander si il lui arrive parfois, tandis qu’elle se promène dans la campagne, de chercher à communiquer avec des vaches en train de brouter dans les prés et de leur enseigner la philosophie ou les mathématiques.  

Peut-être, ajoute GGZ, que tout simplement de tels êtres ne nous considèrent pas comme suffisamment intéressants. Il poursuit en signalant qu’au contraire des adolescents de 14-15 ans que ces sujets ne semblent pas intéresser, il reçoit à l’IMI de fréquentes visites d’étudiants plus âgés, avec un minimum de 2-3 années d’études supplémentaires après le bac, qui se montrent très déçus de ne trouver dans la presse populaire, sur des phénomènes tels que la télépathie, les fantômes et les manifestations psychiques, que des relations tendancieuses ou frelatées.

Non sans sagesse, PLE clôt provisoirement le débat en rappelant que pour sa part, il communique régulièrement avec ses chats et rappelle qu’aussi bien Aimé Michel que Conrad Lorentz avaient déjà exploré cet aspect de la question.
« Il y a des choses que l’on peut communiquer et d’autres que l’on ne peut pas communiquer. Même si avec mes chats, je ne communique que des histoires de chats, je communique avec eux quand même ».
J’exprime mes vifs remerciements à Mme Carole Ratcliff par la qualité de son travail d’attachée de presse à cette manifestation parfaitement rodée et huilée.

Dimanche 16 h

Reprise du débat sur les ovnis à l’extrémité du coin bar, à gauche de l’allée principale, dans la fumée des cigarettes et un certain brouhaha.
Outre Bertrand Méheust (BMT), Pierre Lagrange (PLE), Cyril Vandenberg (CVE) et de Grégory Gutierez (GGZ) dans le public, il s’honore à présent de la présence de Mr. Jacques Patenet (JPT) qui, depuis 1971, fait partie du CNES où il est entré à 36 ans en tant qu’ingénieur en formation électronique et diplômé télécoms.
En 1977, il a participé en tant que correspondant bénévole à la création du GEPAN et collabore  aujourd’hui à sa rénovation sous la nouvelle dénomination de GEIPAN, le « I » supplémentaire traduisant une volonté récente d’information du public.

La séance est ouverte avec comme modérateur le journaliste Olivier Delcroix (ODX) qui rappelle les principales publications de PLE et BMT et notamment celle de ce « Retour sur l’ « Anomalie belge » (Le Livre Bleu Editeur, ISBN 2-912607-01-9) qui analyse la vague d’observations qui avait secoué la Belgique et avait été à  l’origine, dit-il, de la création de la SOBEPS, ou « Société Belge d’Etude des Phénomènes de Rentrées Atmosphériques ».
Nous verrons plus loin comment il convient d’apprécier ces déclarations.
Il se tourne ensuite vers JPT pour lui demander « Pourquoi on ne parle jamais d’ovnis et de soucoupes volantes au CNES ? »

JPT : « Dans sa version SEPRA, le CNES s’occupait d’étudier les phénomènes volants non identifiés, terme que je préfère utiliser plutôt que celui d’ovni, qui est extrêmement réducteur par rapport à tout ce que l’on peut observer dans le ciel comme phénomènes lumineux, météorologiques, naturels ou artificiels. Dans cette masse de témoignages, ce que l’on peut réellement considérer comme objet, volant et non identifié ne représente qu’un tout petit pourcentage de tout ce que l’on est amené à récolter». S’adressant à PLE, ODX lui demande de brosser les grandes lignes de l’histoire du phénomène ovni, aujourd’hui vieux de plus de cinquante ans, en insistant sur l’exception française que constitue l’existence d’un organisme comme le GE(I)PAN à l’intérieur du CNES.

PLE : « Ce qui aux Etats-Unis apparaît d’abord comme un simple fait divers en 1947, année du début de la Guerre Froide, est très vite relayé par la presse. C’est elle qui lance le phénomène. Parmi les intervenants, les experts de l’Armée américaine étudient le phénomène, tout simplement parce qu’on s’imagine alors qu’il pourrait s’agir d’une arme secrète, peut-être américaine, mais peut-être aussi soviétique. Pour expertiser les rapports, les militaires font appel à des scientifiques comme l’astronome J. Allen Hynek et pendant une vingtaine d’années, l’US Air Force va étudier cette question à travers divers organismes comme le Project Blue Book, basé à Wright Patterson. En 1966, assez embarrassée par cette histoire d’ovnis qui entre temps est devenue un problème de relations publiques sans qu’on ait vraiment trouvé sa solution, elle demande à l’Université du Colorado, et plus particulièrement  au physicien E. Condon de s’en occuper. C’est donc une année importante, car c’est vraiment à partir de là que la science va se pencher sur le problème dans une étude qui aboutira à une espèce de constat qui est, non pas nier l’existence du phénomène, mais bien son absence d’intérêt scientifique ».

« Et en même temps, rappelle JPT, d’absence de menace pour la sécurité nationale ».

PLE : « Ce qui est intéressant c’est qu’on assiste au sein même de la Commission Condon à une scission, sous l’égide notamment de J. Allen Hynek. Avec quelques autres comme Saunders et Mac Donald, il récuse cette absence d’intérêt scientifique en disant qu’il y a dans ce que la Commission a étudié depuis trois ans des choses qui présentent problème et qu’il faut continuer à chercher. En même temps, le français Jacques Vallée, qui fait partie d’une nouvelle génération de scientifiques progressistes qui se veut à l’écoute du public, fait la connaissance d’Hynek au Etats-Unis et décide de participer à ses travaux.
En France, nous avons l’ingénieur C. Poher qui avait commencé par être membre du GEPA (le Groupe d’Etude des Phénomènes Aériens), animé par une groupe de scientifiques agissant à titre privé, qui avait constitué un fichier informatique très important” .

ODX demande à JPT d’expliquer “Comment en 1977 CPR décide d’officialiser véritablement le GEPAN à l’intérieur du CNES ?”.

JPT : “En tant que scientifique, CPR estimait qu’il fallait que la France se dote d’un organisme qui s’intéresse officiellement à la question. Il a donc pris sur lui de convaincre Mr. Yves Sillard, à l’époque Directeur général de CNES, a pris des contacts avec la gendarmerie en sorte que le CNES s’est progressivement imposé comme un centre névralgique de tous ces problèmes.  N’employant que quelques personnes, le GEPAN n’en était pas moins coiffé d’un Conseil Scientifique présidé par le Président du CNES, Mr. Hubert Curien, assisté par un certain nombre de scientifiques dans tous les domaines.
Sa première mission a été d’établir une méthodologie sur la façon d’étudier ces problèmes et leur donner des réponses aussi rationnelles que possible”.

ODX : “Encore aujourd’hui, beaucoup de personnes continuent à appeler le CNES, [car] c’est un problème qui intéresse beaucoup les français”.

JPT : “En effet. En revanche, cela intéresse beaucoup moins les médias depuis quelque temps, et reste souvent cantonné dans la presse locale. Mais encore tous les jours, des gens nous appellent pour dire : j’ai vu ceci ou cela, qu’est-ce que cela peut être?”

ODX : “Je voudrais demander à BMT de replacer cette naissance du GEPAN dans la perspective de votre premier livre, lui aussi écrit en 1976, “Science Fiction et soucoupes Volantes”?”.

BMT : “N’étant ni physicien, ni scientifique, j’ai en revanche un certain sens de la psychologie et de la littérature. Je suis parti d’un constat, qui était que les récits de SF semblaient avoir anticipé d’un demi siècle parfois les rapports des témoins d’ovnis. Si l’on fait un parallèle entre ces récits de 1880 à 1945, et les portraits-robots, non pas des ovnis mêmes, mais des dessins, des représentations, de la perception, d’abord par le témoin,  par ceux qui interprètent le témoin et ensuite de ceux qui interprètent ceux qui interprètent le [récit du] témoin, il y a une image qui sort, dans les revues, la presse, etc.. Si l’on fait une comparaison entre les deux [domaines] il ressort très clairement que c’est la SF qui a créé l’imaginaire d’où sort la représentation que nous nous faisons des soucoupes volantes. Comme j’avais la culture pour le faire, j’ai donc montré cela.”

ODX : “N’y a-t-il pas une étrange coïncidence entre l’année de la parution de votre premier ouvrage et celle, un an plus tard, du GEPAN?”

BMT : “Absolument pas. Nous étions arrivé à une époque qui constituait un sommet de l’ufologie classique. Mais mon apport a été mal compris, probablement par moi-même au début (!) car je n’avais alors pas encore une perception suffisamment précise de ce que j’étais en train de faire. Il est clair pour moi aujourd’hui qu’un imaginaire nourri à partir de la fin du XIXe siècle, devient vraiment classique entre les deux guerres, se répercute ensuite dans un phénomène étrange, dont le nom lui même est porteur d’une dimension mythique. A partir de là, l’interprétation la plus simple est qu’il s’agit d’une des nombreuses rumeurs visionnaires qui ponctuent l’histoire humaine. Ce qui ne veut pas dire que cela ne se réduit qu’à cela, que les ovnis ne sont qu’une mythologie. Cela veut dire, qu’à supposer qu’il y a autre chose dans notre environnement qui se manifeste, lorsque les hommes ont été capables de l’imaginer, ils ont projeté sur ce quelque chose ce qui leur était disponible. Il y a donc d’un côté une mythologie de l’ovni qui se développe selon des formes de plus en plus étranges qui ont fasciné le public, jusqu’aux enlèvements et les thèmes conspirationnistes. Plus les formes des ovnis deviennent étranges, plus pour moi la signature culturelle apparaît évidente et plus il me semble que ce sont des phénomènes qui correspondent à l’histoire culturelle de l’humanité. Ce qui masque ce qui éventuellement existe par dessous, que l’on n’a toujours pas expliqué. Pour résumer ce qui est finalement assez compliqué, la première hypothèse, qui est aussi la plus simple, est qu’il n’y a rien, c’est à dire que l’on a de toutes pièces créé cette immense histoire à partir de mésinterprétations qui se ont été systématisées par un groupe qui leur donne une apparence de plus en plus concrète, jusqu’à créer un corpus organisé. Une seconde hypothèse est qu’il existerait des phénomènes physiques de nature non-identifiée, sur laquelle on projetterait du mythe, mais si c’est le cas, force est de constater que les physiciens ne se sont pas vraiment précipités pour nous expliquer ce que cela pourrait être. Soit, dernière hypothèse, “X””

ODX : “Pierre, je voudrais revenir sur la façon dont, après cette prise de conscience dans les années 70-75, les médias ont pu intervenir et relater la perception du phénomène ovni ?»

PLE : «Les médias, c’est un mot très large, chacune a réagi à sa façon. La fondation du GEPAN y est certainement pour quelque chose, mais il y a eu au sein des médias une évolution parallèle. Au fil des ans, l’ovni s’est transformé, il y a eu d’abord ce phénomène de vague. Par exemple en 1954,  toute la presse, tous les jours, parlait de phénomènes qui avaient été vus. Mais ce qui était rapporté dans la presse était fragile et on ne pouvait pas en faire grand’ chose. Lorsqu’un mythe se construit, on ne sait pas vraiment comment réagir. Mais ce qui est tout à fait intéressant, après l’intervention des scientifiques et notamment du CNES, par rapport aux amateurs, c’est cette tentative de démonter les choses. A la fin des années 70, on arrive à une espèce d’accalmie après une série d’affaires, comme par exemple celle de ce jeune type de Cergy Pontoise, Franck Fontaine, qui avait été raconter qu’il avait été enlevé pendant une semaine en novembre 1979. Le GEPAN avait étudié cette affaire dans laquelle apparaissait qu’une espèce de dimension fantastique avait été ajoutée et cela avait un peu cassé les choses en plombant le phénomène dans une espèce de folklore . Aujourd’hui, la presse rapporte beaucoup moins d’observations tout en maintenant une espèce de culture générale autour du sujet avec les recherches sur la vie dans l’espace.».

CVE : « Très concrètement, depuis 7 ans, dans la rubrique scientifique que je fais pour le Figaro, je n’ai été confronté qu’à un seul cas qui aurait pu être lié à ce dont on parle ici. C’était après la catastrophe de Columbia. Le CNES s’était rendu sur place pour constater qu’il ne s’agissait que d’un bloc de mousse à demi calciné qui avait mis le feu dans un tas de branchages avant d’être envoyé plus loin, poussé par le vent. Ce n’est donc pas par soucis de cacher quelque chose que la presse nationale ne relate pas ce genre d’incident. S’il semble s’être atténué, le phénomène s’est aussi déplacé. A partir de 1995, on a découvert des planètes en dehors du système solaire et on sait que la possibilité qu’il existe de la vie ailleurs est plus que probable».

ODX : « Puisque le sujet, dans les médias s’est déplacé, on n’en est donc plus  à l’observation et à la description d’extraterrestres s’écrasant dans le jardin ou d’autopsies comme celui de Roswell? ».

CVE : « Soit le sujet s’est déplacé, soit il s’est atténué. Pendant des années, on a eu l’impression que le GEPAN fonctionnait en roue libre, on n’avait pas de retour au sujet de [ses] activités. Aujourd’hui, avec l’arrivée de Mr. Patenet, on fonde beaucoup d’espoirs que les choses se remettent à bouger et c’est ce dont on parle dans les journaux. C’est donc plus une question de structures, d’hommes et de méthodes ».

BMT : « En même temps il est étonnant [que l’on dise] que le sujet s’est déplacé, parce que le fond intellectuel de référence des ufologues vraiment sérieux a toujours été ça, précisément. Les ufologues ont toujours affirmé qu’il était probable que l’on trouverait d’autres planètes [habitées]. En bonne logique, l’émergence de cette problématique devrait rendre le sujet plus sérieux. Je me rappelle d’une discussion à laquelle j’avais participé avec l’astronome Jean Heidman. Il avait à ses côtés l’une des têtes pensantes de la SOBEPS, le physicien Léon Brenig, qui disait à Heidman : « Votre projet d’écouter des émissions intelligentes dans l’espace a de fortes chances de n’aboutir jamais à rien [tandis que] nous, avec une infime partie de ce que vous avez, nous aurions pu apprendre beaucoup de choses pendant la vague belge de … » 

ODX : « Quatre-vingt dix neuf? »

BMT : « Quatre-vingt dix neuf » .
(Note du webmestre : il s'agit je suppose de la vague belge de 1989-1993, et non de 1999)

ODX : « Peut-on parler un peu plus longuement de cette vague? »

PLE : « En 1989, on a commencé à rapporter des observations de phénomènes solides, des triangles volants, avec des structures sombres qui étaient vus à très basse altitude. La SOBEPS,  la Société Belge d’Etude des Phénomènes Spatiaux, a étudié ces phénomènes en recueillant des témoignages absolument hallucinants. L’impression qui se dégage est que d’abord il y avait bien quelque chose dans le ciel, ensuite qu’on ne savait pas ce que c’est et qu’on était donc en présence d’un de ces phénomènes typiques de vague. A la différence de 1954, cette vague a été étudiée par des enquêteurs qualifiés en sorte qu’on a recueilli une masse d’informations tout à  fait insolite et intéressante. J‘avais fait à l’époque à la Cité des Sciences de la Villette un documentaire portant sur le travail des ufologues. Pour les enquêter , j’avais suivi Michel Bougard qui est le président de cette société et historien des sciences, donc quand même pas un zozo, pour montrer d’une part comment on y travaille. Et à quel point d’un côté, [ce travail] est sérieux et de l’autre, qu’à un moment on bute, il y a un moment où on ne peut pas aller au-delà de certaines choses, on a une impression de tenir quelque chose, on ne sait pas expliquer tout, mais on n’a pas ce qu’il faudrait pour en faire un relevé scientifique. Il y a une espèce de fossé qui existe entre la façon dont les scientifiques travaillent dans leurs laboratoires et ces choses là, qui sont des histoires qui sont bien décrites, précises, mais où il manque un certain de nombre d’éléments pour que les scientifiques puissent s’y intéresser.
Et depuis, dans toutes ces armoires remplies de rapports d’observations, ça dort à Bruxelles, dans un petit bâtiment où sont entreposées toutes ces archives. Et, on se dit, « Qu’est-ce qu’il faut pour qu’il se passe quelque chose à partir de ça ? » 

ODX : « Il y avait quand même eu une soirée thématique sur ARTE »

PLE : « Oui, mais cela ne résout pas la question de se dire : « Où est-ce que ça achoppe, où est-ce que ça coince pour passer de quelque chose de bizarre à autre chose qui aurait enfin un contenu scientifique ? C’est le problème qui s’est posé pour le GEPAN».

FBE que tous ces bavardages ont fini par excéder demande alors à intervenir dans la discussion, ce qui, après un certain désordre, lui est accordé.
BMT : « Bon, on discute après, ou maintenant ? »

FBE : «Maintenant si possible. Mais je n’en ai pas pour longtemps. »
On finit par me tendre un micro. « Bonjour, je me présente, je m’appelle Franck Boitte. La raison pour laquelle j’ai demandé à intervenir maintenant, après qu’il a été très longuement question de la SOBEPS, est que je fais partie de cette association. Je voudrais commencer par rectifier la déclaration de tout à l’heure selon laquelle la SOBEPS a été créée suite à la vague de 1989. C’est inexact (brouhaha de voix diverses). La SOBEPS a été créée en 1971 et j’en fais partie comme enquêteur depuis 1972. Je ne peux donc pas laisser passer ce genre d’affirmation. La seconde chose sur laquelle je voulais également rebondir et [pour laquelle] je m’excuse encore d’avoir demandé à prendre la parole maintenant, est de répondre à la question soulevée par Pierre Lagrange, question que l’on est effectivement en droit de se poser : « Qu’est-ce qui fait que tous ces rapports qui sont engrangés à la SOBEPS – je signale au passage que lorsque je les ai comptés, et je pense être le seul à l’avoir fait, j’en avais trouvé exactement 657, et non des milliers comme on ne l’a que trop souvent écrit, même si ce chiffre évolue encore un peu tous les jours. Il faut toujours se méfier des exagérations. C’est bien simple, ces rapports sont consignés par ordre alphabétique de lieu dans 16 classeurs format A4 et chacun de ces classeurs en contient entre 40 et 50. Faites le calcul vous-mêmes. Pour en revenir à la question de Mr. Lagrange, et j’en aurai fini, ce qui bloque est tout simple : on se trouve devant une masse de témoignages qui ont été plus ou moins bien enquêtés, mon épouse, ici à mes côtés, m’avait accompagné lors de certaines de ces enquêtes, nous étions sur place le dimanche 3 décembre alors que la vague avait commencé le 29 novembre. Il était donc difficile de faire  plus vite . Ce qui se passe c’est que tous ces témoignages ne sont que des témoignages, avec très peu de données scientifiques exploitables. On a donc une masse de comptes-rendus avec des données scientifiquement exploitables très peu nombreuses et très rares. La SOBEPS s’est assurée la collaboration régulière de scientifiques tels que MM. Meessen et Brenig que je connais bien tous les deux, mais, je le répète, sur 100 témoignages, il y a peut-être un ou deux cas scientifiquement exploitables. Et, Pierre, c’est cela qui bloque ».

ODX : « Je voudrais le sentiment de Jacques Patenet sur cette affaire ».

JPT : « Je suis d’accord avec Monsieur.  Nous avons en archives à peu près 6 000 témoignages, qui remontent à 1951 et se sont tous déroulés en France. Cela ne veut pas dire 6 000 cas, ça représente entre 2 000 et 2 500 PV de gendarmerie. Et il y en a effectivement très, très peu qui présentent des éléments concrets que l’on peut analyser, ça se compte sur les doigts des deux mains, maximum, sur l’espace de 50 ans. Ce qui reste ne sont que des témoignages. Et la plupart du temps, il s’agit d’un témoignage unique, on analyse un peu le témoin, on arrive à décider relativement facilement si c’est quelqu’un qui raconte des histoires. Même si on a une très forte proportion de gens de très bonne foi, qu’on n’a pas de raison de mettre en doute, il n’y a pas grand-chose à en tirer. Nous avons subdivisé ces témoignages en 4 catégories, la quatrième reprenant les témoignages « non exploitables », ceux que l’on ne va même pas enquêter et dont on ne peut rien faire. Ils représentent tout de même entre 30 et 35%. »

ODX : « Quelles sont les autres catégories ? »

JPT : « La catégorie A regroupe les choses qu’on explique parfaitement, phénomènes naturels, astres, rentrées atmosphériques, météorites, etc. Très proche de celle là, la catégorie B reprend les cas pour lesquels on est a peu près sûr qu’il existe une explication banale. Réunies, ces deux catégories représentent à peu près 85% de l’ensemble. Restent entre 10 et 15%  de phénomènes qu’on n’a ni expliqués, ni identifiés, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’explication, puisqu’on n’a pas forcément l’intégralité des données. Mais on a jugé le témoignage suffisamment crédible, la description suffisamment étayée pour décider qu’il s’est réellement passé quelque chose, mais on ne sait pas dire quoi. C’est ce que nous appelons des PAN [catégorie] D. Et à l’intérieur de ceux-ci, on a de rares cas où il y a des traces ».

PLE : « Une précision sur ce que vient de dire Franck : ce n’est pas la première fois qu’on s’est trouvé dans ce genre de situation dans l’histoire des sciences. L’exemple très connu est celui des météorites, longtemps considéré comme non scientifique, accepté après. La question est donc de savoir quel genre d’outil on met en place pour pallier aux insuffisances de témoins qui ne sont pas entraînés à l’observation du ciel et, malgré la pauvreté du témoignage, en tirer des informations qui pourraient être intéressantes? A partir de là, l’ufologie pourrait éventuellement passer à un stade scientifique, si on arrive à dépasser le stade de l’anecdote. »

BMT : « Vous parliez des météorites. C’est vrai, mais ce genre de phénomène se produit très régulièrement, tous les jours, donc, à force, on a bien été obligé de se demander ce qu’étaient ces cailloux dans le ciel ».

PLE : « Avant 1803, la catégorie « météorites » n’existe pas. C’est tout à fait autre chose, des illusions d’optique, des pierres fossiles, etc. Il a donc fallu construire la catégorie « météorites » ; mais il a aussi fallu que la mécanique céleste évolue, pour permettre, rendre crédible l’idée qu’il y a des pierres qui tombent du ciel. Car selon la mécanique céleste antérieure, c’est quelque chose qui n’avait pas de sens. C’est là qu’il y a vraiment quelque chose à créer, pour permettre d’isoler quelque chose qui serait pertinent d’un point de vue scientifique. Dans l’état actuel des choses, on a l’impression d’être confronté à un phénomène parfaitement aléatoire, hasardeux, avec des informations pas fiables et tout, et, être scientifique, à mon avis, c’est être capable de créer des procédures qui vont faire émerger quelque chose de reproductible, s’il y a quelque chose de reproductible à trouver ». PLE évoque ensuite le phénomène de la foudre en boule, considéré jusque vers 1970 comme une hallucination due à la persistance rétinienne d’un éclair classique et qui, au sens premier, est donc un ovni, tandis que CVE s’interroge sur ce qui se passe à l’étranger, Etats-Unis, Russie, Belgique.

JPT répond que si à titre personnel, il n’a pas pris contact avec la SOBEPS, un organisme s’est créé au sein de l’armée uruguayenne pour tenter de collationner et centraliser les observations d’Amérique du Sud ».

BMT revient sur la vague belge pour faire remarquer que les vagues qu’il a enquêtées en France, comme par exemple celle des années 1970 qui eut lieu en Bourgogne, n’ont rien à voir avec la vague belge.  Aucune autre vague n’a eu la même homogénéité, avec des phénomènes vus d’aussi près, au ras des toits, décrivant des structures très nettement profilées, par plusieurs personnes à la fois … C’est sans équivalent et je suis très étonné qu’elle n’ait pas fait plus de bruit ».

JPT revient ensuite sur le GEPAN : « En 2001, on s’est demandé de ce que l’on ferait de la base de données existante. Le CNES a fait faire un audit pour voir s’il fallait continuer la collecte des cas et poursuivre l’activité. Il s’est passé beaucoup de choses au cours de cette période. La réponse affirmative qui est tombée fin 2001 a été que la relance sera désormais accompagnée de la présence d’un. Comité de pilotage, chose que j’ai mis en place à partir de fin 2004, début 2005 avec une quinzaine de personnes qui, contrairement à l’ancien Comité scientifique,  peuvent préconiser l’une ou l’autre orientation en termes d’activité et faire appel aux organismes d’état militaires ou civils existants ainsi que d’un certain  nombre de chercheurs essentiellement issus du CNRS ».

ODX : « Alors Yves Sillard, qui était en quelque sorte à l’origine du GEPAN, revient en temps que président ? »

JPT : « Après une carrière bien remplie au service de l’état, Yves Sillard, qui est une personnalité incontournable,  a été sollicité pour prendre la présidence de ce Comité de pilotage  On a rebaptisé le nouveau service GEIPAN, avec un «I» qui traduit la volonté d’information du public, car il n’est pas facile de trouver des sigles qui soient facilement mémorisables. Cette décision importante d’avoir une meilleure communication vis-à-vis du public a été prise à l’issue de la  première réunion du Comité de pilotage.
A l’époque du Conseil scientifique, en gros 20 à 25 documents avaient été publiés sur la question. Etant donné que lorsqu’en 1988, ce Conseil scientifique a cesse ses activités, il n’y avait plus aucune directive pour publier quoi que ce soit et tout qui s’est passé depuis lors est resté enfoui au CNES. Nous allons donc commencer par publier un certain  nombre de documents de nos archives qui seront mis à la disposition des chercheurs. C’est un travail de longue haleine, parce qu’il y a vraiment beaucoup à dire ».

PLE : « Aujourd’hui, les relations entre la science et le citoyen ayant évolué, on n’est plus dans cette idée des années 50 qu’il y a le savant d’un côté et le public de l’autre. Comme on a de plus en plus de groupes concernés, comme dans le domaine de l’alimentation ou des maladies, il est normal que le public participe à cette évolution. Le GEPAN avait déjà proposé en 1977 ce genre d’idée, alors qu’elle n’était pas d’actualité. Pendant longtemps, il a eu du mal à gérer sa propre audace. On peut désormais aborder cet aspect des choses avec plus de sérénité. Il est dommage qu’entre temps, le contenu lui-même du dossier ovni s’est transformé et que l’opinion a encore évolué dans une autre direction. S’il y a eu une époque où les questions qui étaient soulevées par l’opinion, il était impensable que les scientifiques s’y intéressent, je crois qu’aujourd’hui il est sain et normal et que le public participe à ce genre de débat et que les scientifiques soient un peu plus sérieusement à l’écoute des questions qui sont posées, surtout lorsque celle de la pluralité des mondes habités est relancée, même si, alors qu’ils le sont dans l’esprit du public, les deux domaines ne sont pas forcément liés ».

Cette dernière intervention mettant fin à l’exposé, présent dans l’assistance, GGZ intervient par signaler que sur le site internet qu’il anime, il reçoit régulièrement des signalisations d’observations d’ovnis. « Il y a donc, dit-il, énormément de bruit, mais au sein de ce bruit, des cas qui présentent de caractéristiques surprenantes. Et je me réjouis que le CNES puisse à nouveau servir de référence vis-à-vis du public. Il est regrettable que, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, en France ces archives soient restées si longtemps inaccessibles, ce qui explique que les gens se sont mis à spéculer sur ce que sait ou ne sait pas leur gouvernement ».

JPT termine en précisant que des contraintes légales empêchent que soient divulguées certaines informations sensibles et que les gens qui se plongeront dans les archives du CNES risquent d’être fort dépités par leur contenu.



F. Boitte pour l’OMPP
18 novembre 2005
                        

Les intervenants :


Cypora
A propos de Mme Cypora Petitjean-Cerf : http://www.nouvelobs.com/articles/p2134/a277850.html
(31 ans, lauréate du prix Louis Cros 2005 pour "L'école de la dernière chance", et qui vient de publier son premier roman "Le musée de la Sirène").
PierreLagrange
Le dernier ouvrage de Pierre Lagrange s’intitule « La Guerre des mondes a-t-elle eu lieu ? ». Il est consacré à la prétendue panique qu’avait déclenché aux Etats-Unis l’émission d’Orson Welles en 1938, qui fut longtemps l’une des tartes à la crème des socio-psychologues.
Bertrand_Meheust
Bertrand Meheust est professeur de philosophie, sociologue, éthnologie (Paris 7) et membre associé du CNRS. En savoir plus : http://www.rr0.org/MeheustBertrand.html
Grégory Gutierez
Comme le philosophe Bertrand Méheust, Grégory Gutiérez est membre du Comité Directeur de l’Institut Métapsychique International à Paris auquel collabore notamment Pierre Macias. Il vient du publier une histoire de la parapsychologie intitulée « Les Aventuriers de l’Esprit ». Il anime différents sites web et la liste de discussion Aleph : http://groups.google.com/group/Aleph
Photos personnelles des utopiales sur son blog : http://www.greguti.com/mypics/utopiales-de-nantes-2005/
Ian_Watson
Pour en savoir plus sur Ian Watson : http://branchum.club.fr/watson.htm

Les Utopiales en général : http://www.yozone.fr





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Article créé le 24/11/2005 ; dernière révision le : 25/11/2005